Elle se voit comme la Antigone de Sophocle, pourtant autour d’elle, ses connaissances la voient comme la Antigone de Robert Laflamme, ce piètre écrivain québécois qui fait chavirer le cœur et l’esprit de milliers de lecteurs québécois. Elle n’en peut plus, elle, Sapho-Didon Apostasias. On lui parle toujours de Laflamme, de son Antigone, son flagrant portrait, de tous ces avatars de Réjean Ducharme, de tous ces pseudos-écrivains du Québec. Elle n’en peut plus du Québec ? Mais ça va aller. Ou pas. Parce qu’elle veut en finir. A la place de « ça va aller », ça pourrait s’appeler j’ai la haine, j’ai la rage, je veux mourir… Je pourrais rajouter plein de sous-titres mais je retiens surtout cette notion de rage et de désespoir, cette incessante envie d’en finir quand on n’est plus à sa place, quand on ne trouve plus sa place dans cette société-là. Et de ça, je le comprends parfaitement. La haine. Je la comprends parfaitement. Le dégoût. Même dans les flaques de sloche.
« Montréal en mars est parfois comme une caresse. Je pose avec délectation mes pieds dans les grandes flaques de sloche, je me laisse soulever par la douceur de l'air plus doux et j’éclabousse mon grand manteau noir en gloussant de plaisir. C'est le dégel qui, cette année, nous vient en avance, comme un messie. Que m'annonce cette fonte du monde qui m'entoure ? Que s'écoule-t-il dans ce ruissellement des eaux ? Qu'advient-il de moi au printemps ? Qu'arrive-t-il aux filles qui n'ont plus rien à perdre ? Aux filles perdues dans les rues de Montréal où il est impossible de ne pas trouver son chemin ? Que deviennent les Didon québécoises ou les Antigone des cieux floconneux ? »
Sinon à part ça ? Le roman commence donc par cette dédicace : « Aux parturientes ». Tout à fait pour moi ! Et pourtant… Il faut certes un peu se caler en littérature québécoise pour comprendre toute la rage de l’auteure, l’ampleur de son désespoir. Il faut connaître aussi Sophocle et ses différentes versions. Mais peu importe, je glisse sur les pages, comme mes pas sur la neige fondue. Ça fait sloach sloach dans la sloche. Et avec elle, je partage cette envie de… peu importe… Et la maternité dans tout ça, une rage de plus, d’enfanter dans un monde qui ne jure que par ce Laflamme, un écrivain pathétique qui, une pelle à la main, pellette seul devant sa petite maison bourgeoise l’entrée principale. Comment ce truc peut sortir de son ventre, dans ce Québec-là ? Ça va aller ? Non pas du tout, mais on s’en fout, on avance, on accouche, on lit et on se couche. On se boit une bière, en lisant un roman québécois, Mavrikakis ou Ducharme, peu importe.
Et si je me balade, dans les jardins du collège Villa Maria, c’est pour observer cette neige, une neige blanche, qui vire au rouge sang, une neige noire qui se dilue au plus profond de mon être. Pensif, je réfléchis : est-ce que la prochaine étape sera de lire Hubert Aquin ? Peut-être y trouverais-je des idées pour franchir le pas, sloach sloach dans la sloche. Un passant anonyme, maudit québécois, me demandera peut-être si ça va aller. T’inquiète-lui dirais-je j’ai encore des romans de Catherine Mavrikakis à lire, j'ai encore d'autres romans québécois à lire. La littérature c’est être Aquin ou rien.
« J'ai toujours rêvé d'un suicide digne de René Lallemant, d'un suicide comme seul Aquin pouvait en être l'auteur, aux ides de mars, dans les jardins d'une école. J'ai toujours rêvé d'un suicide splendide et inutile, d'un suicide qui n'aurait l'air de rien, d'un suicide travesti en accident ou encore d'un suicide qui ne perpétuerait que le vide. J'ai toujours rêvé d'une balle dans la tête, de ma cervelle répandue sur un parterre de fleurs, ou encore d'un volant en plein sternum du côté de Beauharnois, d'une voiture qui se noie et du temps qui s'efface au fil des courants glacés. J'ai toujours rêvé d'être Hubert Aquin, et quand j'étais enfant, je disais souvent à ma mère qui n'avait jamais lu un livre, ou encore à Olga-Mélie qui dévorait alors Carson McCullers, en me disant que la littérature québécoise n'apporterait rien de bon aux femmes, que je serais Aquin ou rien. »
« Ça va aller », Catherine Mavrikakis.
Encore un qui pellette ?
RépondreSupprimerÇa a l'air gai c't'affaire là.
J'aime bien les gars qui pellettent. J'aime bien cette gaieté...
SupprimerUne joie inestimable, je confirme, surtout s'il pellete mon entrée le torse à l'air... ^^
SupprimerOui ya de la joie dans les gars qui pellettent.
RépondreSupprimerY'a tout un univers dans Mavrikakis, de douleurs bruts, ou brutes... et la sloche on en a plein le nez en mars, dans l'attente effrénée du printemps qui tarde à venir. D'ailleurs la première neige est attendue demain et le soleil se couche à 16h00. Mais la neige c'est la vie, même si en mars on la trouve noire, certains québécois diraient que c'est de la "grosse marde blanche". Mavrikakis relie l'humeur aux saison qui passent. C'est plein de fougue. Et comme le dit si bien l'Antigone de Jean Anouilh, ma version favorite, "Moi, je veux tout, tout de suite, - et que ce soit entier - ou alors je refuse !"
RépondreSupprimerTu viens pelleter demain? :D
Ah enfin, de la neige ! Il était temps. Ca fait 6 mois que je l'attends. Le canada sans la neige, c'est plus le canada. Bon ok, la sloche en mars, c'est aussi de la grosse marde blanche. je l'adore...
SupprimerPelleter avec plaisir, mais ton voisin torse nu semble plus apte à le faire ;-)
En fait je crois que j'adorerai pelleter de la neige fraîche...