lundi 27 février 2023

Le Fils de l'Antiquaire de Valparaiso


"Si mon père lisait ces pages, il me dirait que les choses ne se sont pas passées comme ça. Tu aurais dû me demander avant, me reprocherait-il, et pendant un bon moment il ne me parlerait plus. Peut-être pour toujours. Si ma mère lisait ces pages, elle aurait quelques doutes, elle se sentirait triste, mais ensuite elle comprendrait - ou inventerait - les raisons qui m'ont poussé à parler d'eux.
Quelles sont ces raisons ? J'y ai pensé souvent et il n'y en a peut-être qu'une seule : je crois que je veux les trahir. Je veux trahir la mémoire de mes parents, je le dis à voix haute, je veux les trahir avec la seule chose que je puisse faire : un roman dont je ne sais pas si je pourrai le terminer."
 
Le bateau fit escale à Valparaiso. Descendu sur la jetée, je me retrouve à errer dans ses rues poussiéreuses à la recherche d'un bar capable d'étancher ma soif. Le soleil brûle le sel qui ronge ma barbe et ma peau. Je cherche l'ombre sous les arbres, allant dans les ruelles les plus étroites afin de m'abriter et de la chaleur et du vent. C'est ainsi au détour d'un labyrinthe de rues sans vie que je trouve un magasin d'antiquité à la devanture intrigante. "Collection  Privée" est peint sur la vitrine, je pousse la porte m'attendant à voir un vieux loup de mer échoué du Cap Horn. 
 
Mais non, c'est le fils qui m'accueille, c'était bien la boutique du vieux par contre. 
 
 
"Mais ton père n'est pas mort, a-t-elle dit.
Dans ce roman, si, j'ai répondu. Dans ce roman, mes deux parents sont morts. Tous doivent être morts, toi y compris, j'ai dit."
 
 
Et voilà donc qu'il me raconte son histoire, celle de son père, celle de sa mère, celle de leur séparation, celle de la boutique et de ces dimanches passés là-bas... Celle surtout de son premier roman où j'apprends que son père est mort, que sa mère est morte... Mais sans être triste, je crois comprendre qu'ils ne sont pas vraiment morts, ils sont simplement devenus des personnages de romans. Ce père et cette mère qui ont voté OUI au referendum de 1988 pour que Pinochet reste au pouvoir et donc que le Chili ne devienne pas une démocratie...  

Le fils de l'antiquaire de Valparaiso mêle donc des pensées comme des haïkus, des souvenirs comme des moments de poésie, comme des instants de mélancolie, un retour vers son enfance, peut-être même imaginée. L'auteur et le narrateur se mélangent subrepticement et je navigue entre le vécu et la fiction de cet homme perdu dans la poussière des traces de son passé. D'une belle originalité. Si je devais échoué à Valparaiso, j'aurais pris ce bouquin à la couverture blanche dans la poche pour pouvoir le sortir à la terrasse d'un bar autour d'un verre de bière ou d'un verre de vin blanc. Je m’enivrerai de ses mots, en sentant le parfum des embruns, en regardant de quelle coté coule la lune bleue...
 
"Les nuages couvrent le ciel, la brume marine monte et avec elle un vent glacial qui laisse tomber sur le sol de pierre, comme s'il les choisissait, quelques feuilles encore vertes. Les gens s'en vont. La pluie approche. Les chiens se réveillent, aboient, ils partent chercher de la nourriture ou quelque endroit où s'abriter, et nous, nous restons là-bas, à Valparaiso, seuls."
 
"Collection Privée", Gonzalo Eltesch.
Traduction : Gilles Moraton.
 

Le mois LATINO, c'est (re)parti !
 
 
 
"Il semble que les histoires d'amour commencent aussi quand elles se terminent."  

2 commentaires:

  1. Réponses
    1. un premier roman, le seul pour le moment traduit. J'ai adoré, sa façon de construire son histoire mêlant autant de fiction que de petites touches personnelles.

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