Dans le Japon d'après-guerre, vieillir n'est pas vraiment bien vu. Surtout qu'à quatre-vingt six ans, que faire de la grand-mère encombrante ? Surtout quand celle-ci semble avoir atteint l'âge des méchancetés. Oublier la bonne éducation d’antan, oublier la philosophie de Confucius, la vieille fouille dans les tiroirs et chaparde tout et n'importe quoi. Elle semble dormir la journée, et avoir le regard vide la nuit, effrayant, surtout quand on se lève pour aller pisser et qu'elle fait un boucan pas possible pour retrouver la porte de son petit coin... En plus elle pue la vieille, quand elle s'oublie et se pisse dessus - vous, marchant en plein dedans -, elle sent la merde, elle sent l'urine. Non, il est vraiment temps de se débarrasser de la grand-mère.
"Vraiment, grand-mère, vous êtes un cancer. A cause de vous seule nous ne pouvons pas vivre en bonnes relations entre sœurs. Vous-même, d'ailleurs, vous n'auriez pas pensé que vous serviriez seulement à empoisonner nos relations en vous laissant aller à vivre trop longtemps, non ?"
En plus, alors que tout le pays est rationné, la vieille veut toujours plus de boulettes de riz. Elle croit qu'on la rationne, alors que tant de gens seraient encore contents de récupérer les quignons de pain qu'on lui donne. A quatre-vingt six ans, avec juste la peau et les os, pourquoi a-t-elle encore besoin de faire trois repas par jour. Et encore, quand elle les fait, elle ne se souvient même plus d'avoir déjeuner ce midi. Non, grand-mère t'es une vraie plaie, je te refourgue chez la cadette, là-bas dans les montagnes, sans électricité, tu verras si tu seras mieux traitée...
"A cette occasion encore, elle ne put se défendre d’une aversion physique à la vue de ces longues jambes de vielle femme de quatre-vingt-six ans semblables à des pattes de poulet. Pour Umejo, c’était embarrassant."
Un court récit, un poil cynique qui interroge sur la place des personnes âgées dans l'archipel nippon d'après-guerre. La pression familiale est telle qu'on se sent obligé de s'en occuper, mais face à la crise, au rationnement et aux souvenirs de la guerre, la charge devient difficile à supporter. Trop dérangeant d'avoir une vieille puante à surveiller, laver et nourrir... Pourquoi ne ferait-on pas comme en Amérique, des hospices de vieux, où l'on pourrait ainsi laisser ses vieux tranquilles, entre eux, parce qu'à quatre-vingt six ans, on ne devrait plus vivre encore...
"Celle-là, c’était une vielle qui pouvait pousser très loin la sournoiserie. Confucius, semblait-il bien, n’avait pas tenu compte de ce genre de réalités."
Sur un thème similaire mais dans un autre registre littéraire, nettement plus poétique, cela m'a donné envie de replonger dans le Narayama de Shichirô Fukazawa, magnifique petit opuscule, lu et relu à maintes reprises, dont Shôhei Imamura en fit une belle ballade.
Aah... Les vieux et cette indécence à ne pas mourir...
"L'âge des méchancetés", Fumio Niwa.
Traduction : Jean Cholley.
Il fait un peu peur l'oeil de la vieille c'est vrai. Si en plus elle pue le caca. De là à la jeter à la poubelle !!!
RépondreSupprimerDonc ils n'ont pas d'Ehpad au pays du soleil levant ?
Le rapport avec la sonate ? Sublime quoiqu'il en soit.
C'est effrayent un œil de vieille, quelle méchanceté dans ce regard.
SupprimerTexte d'après-guerre, à l'époque, culturellement, il n'était même pas envisageable d'abandonner ses ancêtres à des personnes étrangères au giron familial. C'est à l’aîné, au du moins à la femme de l’aîné de prendre en charge ce fardeau...
La sonate, pourquoi pas, ça apporte un peu de beauté et de rêve dans l’œil de cette méchanceté...