Ivar Schute est archéologue. Là où certains rêvent de pyramides égyptiennes, de cités englouties ou de pierres incas, Ivar garde malheureusement bien les pieds sur terre. Sous terre, devrais-je même dire, le propre de son métier, de sa passion. C'est bien dans son propre pays qu'il commencera ses recherches et se spécialisera dans son domaine de prédilection : les camps ou les anticamps. Camps de travail dans son pays, les Pays-Bas, Westerbork pour commencer, avant d'être appelé sur des camps de concentration en Allemagne, Bergen-Belsen, poursuivant toujours plus vers l'Est et les camps d'extermination de la Pologne, Treblinka, Sobibór...
La question qui me vient à l'esprit immédiatement, c'est pourquoi et comment. A la pourquoi, ce sont en priorité des fondations ou des gouvernements qui veulent créer un mémorial, sur les fondations même de ces camps et qui souhaitent ainsi déterrer un peu de cette sombre histoire pour ne pas l'oublier. A la comment, l'auteur laisse quelques bribes par ci par là. Il évite de trop s'impliquer, et pour cela se concentre sur la terre et ses artefacts, tous ces bouts d'objets humains enfouis sous des décombres de terre et de poussière. Alors le soir, ils boivent tous des bières ensemble, rigolent et écoutent Can ou Kraftwerk. D'ailleurs, je fais pareil, bien que je sois loin d'Auschwitz.. En binant mon jardin, pinte de bibine à la main, je découvre une molaire cassée. Point final de mon histoire. Une autre molaire cassée, découverte par Ivar, raconte une toute autre histoire, surtout si elle a été déterrée à proximité d'une chambre à gaz.
« Treblinka est qualifié de camp d'extermination, mais s'agit-il bien d'un camp à proprement parler ? A Treblinka, on n'emprisonnait pas les gens, on les assassinait. En ce sens, il conviendrait plutôt de parler d'anticamp. L'image classique d'interminables rangées de baraques, de plaines infinies et de vastes groupes de prisonniers ne tient pas : Treblinka était petit et compact. Il n'y avait que quelques baraques, car seul un nombre très restreint de travailleurs forcés y vivaient, chargés de confisquer les possessions des victimes. Le reste du camp : une chaîne de destruction qui menait à une mort anonyme. »
Bien sur, il pourrait y avoir de l'émotion à lire sur la découverte d'ossements ou de lunettes. Sauf que l'auteur semble s'y refuser, comme pour s'y protéger. Il reste donc dans les faits et les artefacts. L'émotion, je vais peut-être la chercher entre les chapitres, lorsque je ferme les yeux et que je me fabrique les images de ma propre zone d'intérêt. Comme un livre pour un public large, Ivar ne rentre pas trop en détail dans la science de l'archéologie, un beau métier que de faire revivre le passé par la mise à nu de quelques briques, même si « La faillite humaine concrétisée en briques, elle est là. » Raconter des histoires à partir d'un simple bout d'objet au milieu d'une terre oubliée, d'une terre encombrée de décombres et de souvenirs, une terre lavée de pleurs et de cendres. A l'ombre d'un papillon de nuit est l'histoire d'un archéologue et un lecteur sur les traces de la Shoah.
« A l'ombre d'un Papillon de Nuit », Ivar Schute.
Traduction : Kim Andringa.
Sur une masse critique,
pour partager la vie d'un archéologue
sur les traces de la Shoah.
« La manière dont les trouvailles étaient exposées m'a fait réfléchir. Comme à Westerbork et Sobibór, j'ai vu que l'approche d'un centre commémoratif est une perspective fortement matérialiste, ce qui n'est pas sans une certaine logique. On parle d'objets, et en effet ces derniers ont un fort pouvoir expressif dans ce domaine. Mais l'archéologie consiste en premier lieu à établir des liens entre les traces et les artéfacts. C'est le contexte dans lequel nous découvrons l'objet qui est important, plus que l'objet lui-même. Une molaire cassée est une molaire cassée, cependant si elle a été retrouvée près des fondations d'une chambre à gaz, sa découverte nous raconte une tout autre histoire. »
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