samedi 25 mars 2017

Au Sud de Key West

Le visa en poche, j’atterris sur le tarmac ensoleillé. Je vois déjà les vieilles voitures rutilantes parcourir les rues poussiéreuses de La Havane. Voitures multicolores, immeubles multicolores, filles multicolores. L’autoradio est branché sur une cassette de Buena Vista Social Club, c’est toujours mieux qu’un discours de Fidel. Les jupes des filles virevoltent sous la chaleur pour se donner de l’air frais, je rêve déjà d’un verre de rhum au bord de la piscine. Des bikinis autour de moi, des jambes bronzées, des couples qui font l’amour sur la voix d’Ibrahim Ferrer, des homosexuels qui se tiennent la main avant de s’embrasser… J’ai le droit de rêver un peu… C’est pas ça La Havane ? Alors je revois ma copie…

« The Southernmost Point in the U.S.A. C’est ce qu’il y a sur le panneau. Quelle horreur. Comment pourrait-on dire cela, nous autres ? Le point le plus au sud des Etats-Unis, bien sûr. Mais ce n’est pas pareil. La phrase fait trop long, elle y perd en précision, en efficacité. En espagnol, ça ne donne pas l’impression que l’on se trouve à l’endroit le plus au sud des Etats-Unis, mais en un point, au sud. Tandis qu’en anglais, cette rapidité, ce Southernmost Point avec les T dressés au bout nous indique que le monde se termine ici même ; une fois que l’on aura franchi ce point et traversé l’horizon, on ne trouvera plus que la mer des Sargasses, l’océan ténébreux. Ces T ne sont pas des lettres, ce sont des croix – regarde comme elles se dressent – qui indiquent clairement que derrière elles c’est la mort ou, pis encore, l’enfer. »

Les rues sont poussiéreuses. Toujours. L’air est chaud et parfumé à l’iode marin et au poulet recette vaudou. Les filles sont toujours belles, Mais c’est bien le discours de Fidel que j’entends à la radio, à la télévision. Pendant des heures… J’ai envie de leur dire : mais putain mettez un disque de Campay Segundo… Mais rien n’y fait, personne n’ose tourner le bouton de la radio… Je croise des regards, tristes et mélancoliques. J’arrive au tarmac de New-York. Il fait froid, un froid glacial, la température n’est pas en cause, mais les gens oui… Un exilé cubain, dans les années 80. Écrivain. Bon écrivain même à la lecture de ces 8 nouvelles – je vais être honnête, il y a quelques années de ça, j’avais croisé cet écrivain pour un roman qui m’avait profondément ennuyé. Je lui donne une seconde chance. Bien m’en a pris. Reinaldo Arenas a compilé dans ce recueil les écueils de sa vie, entre 1963 et 1987, entre La Havane et New-York, escale à Miami.

« De toute façon, maintenant, que tu le veuilles ou non, tu es ici. Tu vois ? Les rues sont faites pour les gens qui s’y promènent, il y a des trottoirs, des galeries des porches, de hautes maisons de bois aux balcons ajourés, comme en bas… Nous ne sommes plus à New-York, où les gens te poussent sans te regarder ou s’excusent sans te toucher ; ni à Miami où il n’y a que d’affreuses voitures défoncées qui foncent sur des prairies d’asphalte. Ici tout est à l’échelle humaine. Comme dans le poème, il y a des personnages féminins – masculins aussi – assis sur leurs balcons. Ils nous regardent. Des groupes se forment au coin des rues. Sens-tu la brise ? C’est la brise de la mer. Sens-tu la mer ? C’est la nôtre… Les jeunes gens se promènent en short. Il y a de la musique. On l’entend de toutes parts. Ici, tu ne vas pas étouffer de chaleur ni geler de froid, comme là-haut. Nous sommes tout près de La Havane… »

J’y ai découvert une vision presque burlesque de Cuba, des fantasmagories d’écrivains, un mélange de tristesse et de mélancolie. J’aime la tristesse. J’aime aussi la mélancolie. Ça tombe bien, alors… D’autant plus que certaines histoires apportent son lot de rage et de violence. Je peux même goûter à la scatologie, un parfum de merde et de pus qui contrebalance donc celui de mon verre de rhum. J’ai senti une certaine haine mais aussi un grand amour pour son île. Cuba, la fière, Cuba la malheureuse. Le pire me semble être cet espoir déchu car même à New-York ou à Miami, j’ai l’impression que l’auteur n’est pas à sa place. Mais vivre à La Havane, malgré les jolies filles - remarque il s’en fout des jolies filles -, c’est un peu comme vivre en prison les barreaux en moins, la musique en moins, les discours interminables du fidèle dictateur en plus. Faudrait-il descendre à Key West, le point le plus au sud avant l’enfer, avant l’île ensoleillée où il serait si bon de prendre un verre de rhum au bord de la piscine (j'y tiens à mon rhum). Je ne ferais pas le difficile, me contentant d’un mojito sur la plage, le soleil se couchant, mon âme plongé dans les vagues, mon regard plongé dans les bikinis… et éteindre la radio, parce que le Fidel a plutôt une voix de Castafiore… Au sud de Key Kest, l'enfer.    


« Adiós a Mamá », Reinaldo Arenas.


8 commentaires:

  1. Lu de Reinaldo Arenas Avant la nuit (ou est-ce après?) mais il y a longtemps. Sûr qu'une cassette du BVSC c'est mieux qu'un discours du Lider Maximo, et en plus c'est bien moins long.:D Bon séjour à Havana amigo.

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    1. Avant la nuit...
      ben avant la nuit, je dirai qu'il y a mojito et cuba libre, surtout avec le BVSC qui se joue en concert privé pour emballer une jolie cubaine...

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  2. Tiens, ça c'est un roman qui me plairait bien, sous le soleil d'un Cuba vivant et authentique. Je m'achèterais une vieille Buick bleu poudre, le toit ouvrant en écoutant du Buena Vista Social Club...

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    1. le toit ouvrant, le majeur au vent. Une tentation cubaine, une musique cadencée au rythme de l'amour, chaloupe, chaloupe sur le BVSB...

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  3. Je n'ai jamais lu de littérature Cubaine... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. une littérature d'exilé(e) faite de haine et d'amour pour leur île...

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  4. Tout à fait pour moi ça. Et puis ces couvertures du serpents à plumes me rappelent de si beaux souvenirs de lecture.

    PS : J'espère que tu as déjà lu Pedro Juan Guttierez,le Bukowski cubain. Si ce n'est pas le cas, fonce, ce queutard invétéré va te plaire^^

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    1. Pedro Juan fait partie de mes envies littéraires depuis bien longtemps mais je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire... Le jour viendra...

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