lundi 15 mai 2017

Thanksgiving sous la Neige, Miles et Dieu

Heureux qui n’a pas vécu un Thanksgiving entre amis fidèles depuis au moins trente ans. Se goinfrer et s’empiffrer comme des porcs, boire et se saouler comme des cochons. Le soleil se lève et les préparatifs démarrent déjà pour cette soirée illuminée de retrouvailles et discussions animés. Ce n’est pas encore la porcherie à laquelle je me prépare, jean délavé et chemises à carreaux, rêve d’être bûcheron, que l’on sort une fois dans l’année au sein de la civilisation.

Je ne te fais pas la présentation de tous les invités, de douze à table, voir treize si on compte le marmot qui tête le sein de sa mère, sein bavant d’un lait maternel sucré au sirop d’érable. Sean, Patrizia, des hommes, des femmes, des couples, des divorcés et au milieu de tout ce beau monde, il y a moi l’insignifiant et Dieu le maître d’orchestre.

Mais avant, je te propose une petite musique pour accompagner…

« Je nous mets quoi ? Miles ?
- Parfait. »

Première séquence : la préparation du repas où comment bien fourré une grosse dinde. Non, je ne parle pas de Patrizia toujours aussi callipyge avec son âge et des hanches à prendre encore d’envie, de désir, de plaisir. L’animal, la bête, d’abord l’épiler, puis lui mettre un doigt dans le cul. Non carrément la main pour la fourrer. La mettre au four. Plusieurs heures, de nombreuses heures. Pendant ce temps-là se souvenir du passé, des rencontres, des autres. Autre point crucial d’un repas de fête, la préparation du punch. Avec une triple dose. J’ai envie que les gens soient bourrés, alors je ne lésine pas sur les bouteilles de rhum et de cognac. Il n’y a qu’avec un coup dans l’aile – en revenir toujours à la dinde – que les langues se délient et que les gens apparaissent comme ils sont sans inhibition ni appréhension. Le secret d’une fête réussie : le pourcentage d’alcool dans un verre de punch, sachant que moi, je vais m’enfiler une bonne bouteille de single malt, importation directe.


« Il découvre Patrizia seule à la cuisine, de dos, les rubans de son tablier noués en joli nœud autour de sa fine taille italienne, les longs cheveux noirs remontés en chignon pour éviter qu’ils ne tombent dans les aliments, une courte jupe noire serrée mettant en valeur les courbes de ses fesses ; le sexe de Sean remue dans son pantalon et, venant derrière elle, il fait glisser ses mains sur les os iliaques de Patrizia et jusque sur son abdomen. Il a toujours considéré qu’elle avait les os iliaques les plus extraordinaires dans l’histoire de la gent féminine, deux saillies douces à travers le tissu noir de sa jupe. (« J’aime tes seins aussi, faut pas croire », lui avait-il susurré une fois, du temps où ils étaient amants, conscients que les femmes ayant allaité pouvaient être sensibles au sujet de leurs seins… ) »

Deuxième séquence : les arrivées et les petits fours. Une tenue affriolante, robe noire mini et bien ajustée aux courbes encore gracieuses même vieillissantes. Et toujours cette même envie de la culbuter direct sur la table de la cuisine ou dans la cave. Non (clin d’œil amusé)… il a ramené sa nouvelle femme qui a l’âge... d'être sa fille. Voilà de quoi entretenir une certaine jalousie entre les femelles de la soirée et de voir les hommes jouer au coq à la plus belle crête. Cocorico, me voilà sortir de la cave, quelques bouteilles de vin à la main. Les premiers verres, les premiers sourires, premiers échanges sur le souvenir. Tu te souviens quand on avait vingt ans et qu’on l’a fait dans le vieux combi Volkswagen ? Et tu t’en souviens quand tu m’as sucé pour la première fois, dans ce motel entre désaffecté et délabré ? Que de souvenirs, nostalgie, mélancolie. L’âge avance, les souvenirs restent. Encore… Signe que nous sommes tous en vie, pour combien de temps.

Effectivement, quand allons-nous mourir ? Dieu est là, entre chaque séquence, entre chaque plat, entre chaque moment de détente. Mc God, le maître de cérémonie, le chef d’orchestre, celui qui dirige et qui donnera la mort à chacun d’entre eux. Dans un an, dans dix ans, dans quarante ans encore. Dans un lit d’une belle mort après la fellation d’une putain de Vegas, ou contre un arbre après une soirée arrosée et un virage mal anticipée, ou sur des rails écrasés par un train de marchandise, un nombre incalculable de wagons venus broyés la chair de ce cher suicidé…

« Qu’est-ce que je cherchais encore merde, ah oui le sirop d’érable : tout au fond du réfrigérateur, Sean aperçoit un gracieux petit flacon de sirop d’érable du Vermont, cadeau de cette brillante romancière rousse – Lizzy ? Zoé ? – je suis sûr qu’il y avait un z dans son nom – qui, venue à l’université il y a deux trois ans, ayant donné une brillante lecture rousse et l’ayant accompagné chez lui après, attiré par son nom et sa célébrité sinon par, bon, passons, lui avait fait une fellation merveilleuse à la lumière des bougies en refusant de le laisser réciproquer de quelque façon que ce soit, il ne sait plus pourquoi, peut-être avait-elle ses règles ou alors un petit ami, toujours est-il que le lendemain matin elle lui avait fait des crêpes et s’était scandalisée de ne pas trouver dans sa maison la moindre goutte de sirop d’érable. »

Troisième séquence ou quatrième, j’ai trop bu pour retenir les chiffres : les au-revoir, les embrassades, les œillades et les mains sur les cuisses. J’ouvre la porte… Câlisse, de la neige, des monticules de neige qui ont enseveli la vallée. Tabarnak ! où est mon char ? Un blizzard à te faire dresser les seins et avoir frette. Fuck le blizzard. Impossible de repartir. Je me pose de nouveau sur le fauteuil en cuir. Un cigare. Un whisky. Juste un doigt. Pas un whisky, d’abord ? J’adore cette réplique, mon majeur en frétille de sourire. Sortir des couvertures, des sacs de couchages, ouvrir le canapé, déplier des draps. Tout le monde dort ici, comme une fête d’étudiant, l’âge en plus, mais les rides et le sourire encore plus charmants. Il faudra donc attendre demain. Le café noir, les cheveux en batailles, l’haleine fétide…

« Quel veinard, ce Hal. Peu importe de savoir si sa nouvelle idylle sera durable ou non ; l’important c’est que, tout récemment encore, il a connu la joie de serrer contre lui le corps d’une belle inconnue en se disant qu’il lui ferait l’amour sous peu. Quand me suis-je retrouvé pour la dernière fois avec une belle inconnue – courant libres et insouciants sur la plage, main dans la main, s’embrassant sauvagement, s’arrachant les vêtements, plongeant nus dans les vagues, se jetant corps contre corps (A dire vrai il ne s’est jamais adonné à ce genre d’activité, mais il tient à aller jusqu’au bout de son idée.) De nos jours, on ne sait plus faire l’amour, on ne sait faire qu’attention. Attention au sida, attention à la grossesse, attention surtout au plaisir de votre partenaire : les femmes ne veulent plus s’envoler avec vous au septième ciel, non, elles veulent que vous suiviez un stage de six semaines en stimulation clitoridienne, après quoi, ayant rédigé votre mémoire et vous sentant prêt à passer l’examen, elles vous annoncent qu’elles aiment autant faire ça avec une femme(Cela non plus, Sean ne l’a jamais vécu, mais il est emporté par ses propres effets rhétoriques.) Ah, Hal. Le veinard. Le veinard, d’avoir trouvé une fille si simple et si douce à épouser. »

Quelles monstrueuses fêtes, ces Thanksgiving américains. Et moi dans tout ça, où je me trouve ? Juste à côté de la cheminée (« un feu vous donne autre chose à regarder que vos pensées »), un coin sombre, un verre qu’une nana vient me remplir de temps en temps (« La vraie question est peut-être la suivante : ton Prozac peut-il s'entendre avec mon scotch »). J’observe, je ne parle pas. De toute façon, je n’ai jamais rien à dire (« Les gens ne changent jamais d'avis au cours d'une conversation. Ils ne le font que dans le silence et la solitude »). Parler ? Mais pour dire quoi… je ne sais même pas. Du bulletin météorologique ? Du prix d’une pipe dans le bois ? De la vie qui est derrière soi ? Peur d’ennuyer les autres assurément avec une conversation sans intérêt, une vie transparente. Mais est-ce ça, donc, les mondanités d’usage entre amis, parler pour ne rien dire, à tout va à tout vent, pour combler le silence au-dessus de la trompette de Miles. Alors j’observe, en silence, je passe une bonne soirée, je découvre ces vies, ces tranches de vie, ces morts. Je suis bien au chaud, la neige dehors, la chaleur d’un feu et d’un whisky, et Bitches Brew qui distille ses notes.

« - Bitch’s Brew, c’est ça ?
- Oui-i-i. Voilà une chose, au moins, qui sera belle à tout jamais. Quand les gens du XXXIe siècle se pencheront sur le nôtre avec ses montagnes de cadavres, au moins aurons-nous Miles pour nous racheter. Au moins pourrons-nous dire : mais on a produit Miles, ce n’est pas rien ! Pour Billie et Chet et Miles, l’espère humaine vaut la peine d’être sauvée, non ?... Tu nous sauveras bien pour eux, hein, Dieu ? »

« Dolce Agonia », Nancy Huston.   

13 commentaires:

  1. Nul besoin d'attendre Thanksgiving pour fourrer de la dinde... ^^

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    1. ah bon ? Et tu la fourres à quelle époque, la dinde ? ;-)

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    2. PTDRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRR ah les hommes!!!!!
      Ça parle de fourrer et ça les rend tout joyeux!!!! pfffffffffffffff!!!! ^^ ^^

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    3. Ce n'est pas le concept de Thanksgiving ? Fourrer et boire ?!!!

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    4. A défaut de fourrer, on peut la farcir la dinde en question ... C'est probablement ce que dirait le dindon .. De la farce, why not ?
      29 à l'ombre today, ceci explique cela.
      ++

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    5. 29° et une bouteille d'Irouléguy, tu es tout pardonné...

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    6. Arduak ez du hezurrik. Irouléguy, Pays Basque, ma terre . :-)

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  2. Non mais quel tabarnak de billet !!! <3
    Nancy Huston, unique...
    Ahhhhhhhh........ quand y frette dehors pis qu'tu trouves pu ton char, câlisse, tu te payes pour l’occasion 2 doigts de whisky (^^), "le whisky d’abord", pis tu sors te rouler dans la neige le cul à l’air et la graine au vent, avant de revenir mettre ton majeur au chaud sur une peau de grizzly. Fuck le blizzard!!! Sûr que cette troisième séquence est ma favorite. Quand y frette c’est l’bonheur :P
    L'bonheur en TABARNAK........
    Yé où l'hostie d'char à marde!!!??? ^^

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    1. Unique, je sais pas. Mais Nancy Huston écrit foutrement bien. Le blizzard et l'hostie de char sous la neige, tout est vrai dans ce roman. Un roman d'ailleurs à classer plus dans l'esprit littérature américaine que canado-française, mais un roman qui m'a foutrement bien emballé. Grâce au punch, certainement et peut-être aussi à cause du blizzard. Fuck le Blizzard !

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  3. Ptdrrrr ! "la graine au vent"... Mangeux d'graines toé LEU !!! :D

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    1. Magnifique !
      Faut dire que y'a rien de mieux que de s'faire manger la graine !

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    2. Ptdrrrrrrrrrrrrrrrr j'savais que vous alliez l'aimer celle-là!!! ^^
      Dès qu'on s'met à parler de leur manger la graine y sont tout contents!!! ^^ ^^
      Ah les hommes.......... !!!!!! :P

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    3. Et même qu'on remue la queue pour marquer notre contentement !

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