lundi 29 mai 2017

D’âme à âme

Écouter le silence, mettre des notes entre ce silence et se laisser emporter par le flot de la marée, celle qui chavire l’âme, celle qui dérive le cœur vers le lointain.

« Qu'est-ce que la musique ? N'est-elle pas une communication d'âme à âme ? »

H-J. n’a pas sept ans lorsqu’elle débarque en France, de sa lointaine Corée natale. Les croyances lui ont révélée un immense destin hors de ses frontières, ses parents acceptèrent donc cette séparation, ce déchirement. Elle ne parle pas un mot de français, ne doit pas encore maitriser totalement le coréen, pourtant, déjà, elle est à l’aise sur un tabouret face à un piano. Peut-on parler de don ? Probablement. Une bénédiction bienveillante des Dieux et de ses ancêtres pour illuminer sa vie de silence, de Chopin et de Beethoven. De son innocence, et d’un esprit pas formaté par le carcan scolaire, elle deviendra virtuose, grande pianiste qui aura tout à prouver au-delà de sa fougue et de sa jeunesse.

Je la suis, solitaire par obligations, déterminée par racines. A Compiègne. A Rennes. A Paris pour le conservatoire. A Bruxelles. En Suisse. Elle est européenne, car les pianistes sont tous européens. Ravel, Liszt, Mozart, Rachmaninov. Ah Rachmaninov, et la passion romantique qui émerveille les yeux d’une jeune fille. Je l’écoute à travers ses mots.


« La musique est née dans le son du vent, elle prend sa source dans le bruit des rivières, dans le mouvement des poissons – elle était là déjà sous le pont d'Anyang, dans la langueur des algues qui bouleversaient mes yeux d'enfant. La musique est la nature, et plus encore : son écho. Elle donne à entendre cette perfection du flux irrégulier de tout ce qui est vivant. Vagues qui viennent mourir avec une cadence répétée sur le sable, mais toujours uniques, toujours singulières ; chant de l'oiseau interrompu et qui repart ; pluies torrentielles et bruines de printemps ; mousson du souffle intérieur, rubato de l'âme, cœur qui bat, qui s'accélère, qui a peur, qui se retient, rougeur des joues dans l'émotion, mains moites, corps vivant ! »

Je la découvre donc, elle se dévoile. Ses galères, ses colères contre l’administration française par exemple, ses chagrins, une mère qui lui manque. Bien plus tard, elle comprendra que dans ce silence il y a aussi la présence de sa mère qui l’a accompagné tout au long de son chemin, entre prières et inclinations religieuses. Son souffle restait pencher sur ses jeunes épaules. Elle ne semble avoir jamais doutée, tant elle est habitée par cette passion, par ces partitions, par cette musique qui devait « faire jaillir du feu de l'esprit des hommes et les larmes des yeux des femmes ».

Ce roman trace l’histoire d’une petite fille, son destin en main, avance dans la vie, comme sur une partition. Avec folle fougue et rubato. Ce roman trace l’histoire du silence de nos vies, qui caresse les âmes de ses touches musicales. The Sound of Silence chantaient Simon ou Garfunkel, peu importe je les confonds toujours. Le Son du Silence écrit la belle Lim. Elle est habitée par ce silence et par les sonorités de ces grands pianistes d’un autre temps, mais le temps en musique est éternel, et l’âme grandit de ces écoutes silencieuses, bercées par la brise de la vie et le vent de l’amour. D’âme à âme. 

« Le rubato, c'est ce qui fait palpiter et frémir la musique. Chopin ne l'a pas inventé. Le rubato est la musique. Il court dans les forêts profondes et dans le corps des bêtes, il bat dans le sang de l'homme, il vole dans les plumes des hirondelles impatientes avant l'orage, il s'effondre avec les glaciers dans un bruit de géant, il murmure avec les abeilles dans le sexe des fleurs, et c'est à chacun d'en faire danser la voix. »

« Le Son du Silence », Hyun-Jung Lim.

13 commentaires:

  1. Je dois avouer que ce genre de livre n'est pas trop ma tasse de thé, mais pourquoi pas essayer, je pourrais être agréablement surpris… (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Je lis très rarement des autobiographies, peu d'intérêt pour la vie des autres. Mais celui-là comme du précédent avec Hélène Grimaud, parle de vie et de musique, de passion et de musique, de silence et de musique. Et comme je ne vivrais presque que de musique et de silence, je l'ai trouvé passionnant. Une belle découverte, et la découverte d'une belle pianiste.

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  2. J'ai ce sentiment parfois que les virtuoses, les gens voués à la musique vivent cette discipline comme un sacerdoce et s'isolent du monde extérieur. Toutes ces heures de travail, de sacrifice ... C'est très beau je trouve !

    Une belle découverte :-).

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    1. Je pense qu'il faut sortir de sa vie, faire une croix sur l'insouciance de l'enfance et penser que le bonheur sera pour après. Et après, effectivement, ce n'est que bonheur enchanteur, passion envoûtante.
      Une très belle découverte que cette pianiste, longue crinière brune...

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  3. Y'a des âmes aux talents multiples, comme cette belle Hyun-Jung Lim, qui nous émerveillent et nous fascinent. Tiens, quelle douce découverte...
    Une beauté qui arrive à nous enivrer autant par ses notes que ses silences. Tabarnak qu'elle est émouvante dans ce Chopin <3

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    1. C'est vrai qu'elle est belle, émerveillante, fascinante... enivrante, émouvante, chopinante...

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    2. "chopinante".... câlisse...... avec un mot pareil y'a d'quoi réchauffer le majeur quand y frette ^^

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    3. C'est que j'ai bu plusieurs tasses de café noir pour que mon majeur tape un mot pareil. Hostie de câlisse, je suis fier de ce chopinante...

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  4. Je découvre ton blog, via Babelio...
    Mais j'avoue qu'ex-bloggeuse, j'ai eu une saturation, et que ce n'est plus un réflexe de m'y promener.
    Mais pour toi, je ferai peut être une exception ! ;-)
    Vraiment touchée par les mots par lesquels J-Lim t'a envoûté....

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    1. aucune obligation à venir ici, ne t'inquiète pas...

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  5. Réponses
    1. Il y a d'autres très belles vidéos d'elle disponibles...

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  6. Oui, je t'ai envoyé le lien d'une superbe interview en français (via Babelio)

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