jeudi 25 mai 2017

Le Silence des Loups

Souvent j’associe intérieurement musique et littérature. Non pas que j’ai besoin de musique pour lire, cela dépend juste du moment, et surtout du lieu. La musique me sert pour m’isoler du reste du monde, afin de pénétrer au mieux dans le livre. Pénétrer quel beau mot, surtout quand le roman est écrit par une femme que je trouve des plus magnifiques. Mais la beauté ne fait pas tout parce qu’en plus, elle sait m’émouvoir avec ses silences et ses notes de musique, un piano aux accents du sud, Aix-en-Provence, la Camargue, le Vercors, les loups. Le roman me faisait un poil peur, poil de loup, poil de bison, une touffe d’émotion. Je n’imaginais pas que la femme pouvait être parfaite, m’émouvoir autant par sa crinière brune et par son interprétation de Beethoven que par la mise en scène de sa biographie, mélangeant souvenirs d’enfance, références musicales et passions animales. Les passions bestiales, ça me cause… Une passion physique, même.

« J’avais le sentiment physique d’être englobée par la musique. »

Choisir un disque. Commencer par Rachmaninov, son premier disque. Contre l’avis de tous, bien entendu. La jeune demoiselle n’en faisait qu’à sa tête. Forte de caractère, sanguine et fougueuse même. La tête dans le mur, mais elle avance toujours, souvent à contre-courant, contre les conseils de ses maitres. Une sacrée personnalité, sûre de ses choix comme quand elle part en Russie faire un concours qui n’est pas encore de son niveau. La Russie, l’autre passion d’Hélène. Bien sûr, il doit y avoir des loups en Sibérie, mais c’est surtout la patrie de Rachmaninov et de Dostoïevski. Parce qu’en plus, elle est cultivée, la petite. Tu permets que je l’appelle la petite, après tout, elle n’est née qu’en 69 – année … - cela dépoussière les vieux croutons d’antan. Parce qu’avant elle, j’avais l’impression que la musique classique était faite pour les vieux. Putain ! Cela veut dire que moi aussi maintenant je suis un vieux – vieux crouton, vieux con, peu importe l’appellation maintenant que j’écoute du classique entre deux vieux disques de vieux de Deep Purple. Et là je me rends compte que mon premier disque classique était un concerto de Deep Purple, ça ne me rajeunit pas… Mais là, je m’égare, revenons à Liszt ou plutôt à Brahms…

La montée à Paris, pas évidente quand on a à peine13 ans. De toute façon, elle s’est toujours sentie à part. Pas à sa place dans une cour d’école, trop mature, pas vraiment à sa place non plus au conservatoire, trop jeune. Alors où est sa place, son chemin, sa destinée ? En Floride, où le hasard lui fait croiser le chemin d’une louve, un soir de pleine lune ou presque. Bleue, la lune. Et le début de son autre passion. Canis Lupus. D’ailleurs, je l’imagine bien sa chevelure étendue dans l’herbe, les louves se lovant contre elle, un verre de Côte du Rhône, les pages du Loup des Steppes qui s’effeuillent. Narcisse et Goldmund aussi… 

« J’étais tombée, chez un bouquiniste, sur un ouvrage de Hermann Hesse – son roman Narcisse et Goldmund est devenu l’un de mes livres favoris. Sur une page ouverte au hasard, une phrase disait : « La musique repose sur l’harmonie entre le Ciel et la Terre, sur la coïncidence du trouble et du clair. » Ces mots m’ont frappée au cœur, comme s’ils mettaient directement adressés. A cet instant, j’ai introduit dans mon vocabulaire la notion de « trouble ». »

Trouble. Non je ne parle pas du fond de mon verre de bière, mais de ce qu’elle peut provoquer en moi sa musique, sa chevelure, son sourire. Ses silences. Ma vie est faite de silence, je les écoute, les intègre, les partage. Ils sont compris ou pas. Comme la musique. Plusieurs niveaux, il faut de la patience, des dièses et des soupirs, de la jouissance, parfum d’une vie, fougue de la jeunesse mais moi je suis vieux, alors à quoi bon, à quoi bon écouter encore de la musique, rester dans le silence, creuser sa tombe, sentir la terre et le parfum des louves qui viennent respirer mon corps en putréfaction dans les steppes du silence, territoire sauvage d’un cœur battant pour des envolées aussi lyriques qu’un vol de grues ou de lagopèdes à queue blanche.    

« La musique s'est-elle emparée de moi parce qu'elle est le prolongement du silence, ce silence qui la précède toujours, qui retentit au cœur du morceau ? La musique est l'accès à un ailleurs de la parole, que la parole ne peut pas dire et que le silence dit pourtant, en le faisant. Une musique sans silence, qu'est-ce, sinon le bruit ? »

Je suis son parcours, du moins sa jeunesse, ce premier roman relate ses premiers événements, juste avant la consécration, ses doutes et sa détermination. Entre deux réflexions sur sa vie, elle me parle animaux, bestialité des hommes, sauvageons êtres que l’homme qui a toujours massacré le loup pour sa fourrure. Je sens qu’elle les aime ces bêtes à fourrure, envie de me transformer en loup, sentir ses caresses, caresser par sa mélodie, mélodie du cœur, élévation de mon âme, spiritualité d’un majeur en pleine action qui écoute Rachmaninov. J’aime la musique. La musique fait partie de moi, comme les silences. La musique est silence, et inversement. Une meute de loups hurle sous la lune, lune bleue bien évidemment, photo nocturne d’une transcription européenne de nos contes d’enfant. D’ailleurs, le premier disque que j’ai acheté pour mon fils ne serait-il pas Pierre et Le Loup. Le classique mène donc aux loups. C’est clair, maintenant. Le hurlement du loup n’est qu’une longue mélodie du cœur que les plus grands pianistes retranscrivent en y mettant l’âme et le silence. Le silence et les loups. Le silence des loups.

Merci à la louve des banquises qui n’a pas peur de se faire bouffer par les ourses ou tirer par l’homme (quoique ?) pour m’avoir proposer cette lecture sous musique, musique sans acide malgré l’élévation de l’âme (et du majeur, parce que Hélène Grimaud – ou sa musique – me bouscule).  

« J’avais les loups. J’avais la musique.
J’avais la musique des loups sous la lune, et dans mon jeu toute l’animalité qui sauvegarde l’artiste. »


« Variations Sauvages », Hélène Grimaud.




17 commentaires:

  1. Hélène disait : "Il y a une certaine jouissance dans la souffrance mais c'est une certaine façon de s'élever"

    Je crois que j'ai commencé vraiment à écouter et apprécier la musique classique quand Hélène est rentrée dans ma vie.

    Un livre que je lirai ! :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. oui, la jouissance a un certain effet élévatoire, du moins sur moi...

      Supprimer
  2. Superbe ta prose, inspirante et inspirée par le glissement des notes. Une gamme d’émotions vives transcendées par la douceur sauvage de cette pianiste que j’admire. De Rachmaninoff à Brahms, en passant par le hurlement des loups, on ressent cette incessante quête d’équilibre dans la complicité de l’instant entre musique et nature. Écouter le chant du loup sous les étoiles, c’est communier avec la vie. Ces moments inspirent et nous rendent fragiles je trouve, comme autant de pièces musicales qui savent nous émouvoir. On se sent bien petit face à toute cette grandeur, toute cette beauté...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. le chant du loup sous les étoiles... Fuck le loup...

      Supprimer
  3. Oui Hélène Grimaud est parfaite. Allier cette grâce physique et sa maîtrise puissante de l'engin, écrire de telles phrases... Et quand elle parle on l'écoute. Simple et joyeuse.
    Un ovni.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. maîtrise puissante de l'engin... Hou, voilà une phrase qui m'excite bien, conjuguée avec son excellent doigté...

      Supprimer
  4. la musique elle, n'a pas d'âge. Enfin, la bonne !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. la bonne, immortelle... Deep Purple, Led Zeppelin... Elle n'a pas d'âge...

      Supprimer
    2. Et ce nouveau Deep Purple, il envoie !!!! Merci Bibison!

      Supprimer
    3. Steve Morse à la guitare semble apporter une sonorité plus blues...

      Supprimer
    4. Mais y'a toujours bien Ian Paice à la batterie, égal à lui-même et tu retrouves des sonorités de l'époque entre guitare, basse et clavier. Je te le dis, tu prends des années en arrière en pleine face ! Mais que c'est bon !!!

      Supprimer
    5. Ian Paice, le plus fidèle depuis la mort de Jon Lord...

      Supprimer
  5. Et bien oui, cher Bibison, je suis comme toi, à la voir, à l'entendre,, la penser, je jouis de son doigté et de sa personnalité, de son charme même si celui-ci est posé sur du papier glacé ou qui traverse un écran cathodique.
    Elle rayonne, elle attire, elle est !
    Et je rêverai bien d'être sa bête à poil ! Aouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Un coup de chaud, bibi ! La Canicule...

      Supprimer
    2. Et oui, même dans la Yaute il fait bien trop chaud et cette Hélène ... hummmm, j'enlèverait bien volontiers cette reine tel Pâris et sans aucun remord.

      Supprimer