jeudi 10 août 2017

Le Facteur ne sonne qu'une fois

C’était dans un bar miteux de L.A. comme on en fait plus. Maintenant, il faut que tout soit propre et aseptisé, même les chiottes et les caniveaux. Je ne sais plus à quelle tournée j’en étais arrivé, les verres vides s’entassaient sur le comptoir. Il devait être minuit, lorsque que le pochtron d’à-côté me sort « tu devrais aller à la Poste, ils embauchent n’importe qui ! ». Me voilà donc à cinq heures du mat’, L.A. s’éveille, un sac en bandoulière, prêt à embarquer pour une nouvelle tournée. Postier suppléant. En-dessous, il n’y a rien. Je suis le dernier maillon de la chaîne de distribution. Si les facteurs se portent pales, parce qu’ils ont trop bu la vieille ou qu’il pleut à averses, je deviens le seul, avec mes chaussures trouées, à affronter les éléments de la nature, les vieilles rombières aux bigoudis et les grosses rombières en peignoir ouvert, l’unique même pour acheminer la dernière étape du courrier.    

Premier roman de Bukowski. A l’époque, il n’était pas encore tout à fait écrivain mais déjà pochtron convaincu. Il est ce facteur, toujours en retard sur sa tournée mais qui ne faiblit pas, qui ne faillit pas même lorsque des trombes d’eau s’abattent sur sa camionnette, sur ses mocassins, sur sa sacoche. Étonnamment, il met du cœur à l’ouvrage et de l’humanité à cette tâche ingrate. Des rapports pleuvent sur le bureau de son supérieur, malgré tout il garde son humeur et continue sa besogne coûte que coûte, comme un sacerdoce. C’est comme baiser une grosse au foyer des vieilles rombières, genre qui n’arrive plus à jouir. Il la besogne, la besogne, jusqu’à plus soif, jusqu’à ce qu’elle le supplie d’arrêter.

« Un jour j’étais au bar entre deux courses et j’ai vu cette femme. Dieu ou quelqu’un d’autre n’arrête pas de créer des bonnes femmes et de les jeter dans les rues, et celle-là a le cul trop gros et celle-ci a les nibards trop petits et cette autre est cinglée et cette autre a de la religion et celle-là encore lit dans les feuilles de thé et celle-là arrête pas de péter et celle-ci a ce gros tarin, et cette autre a les jambes cagneuses…
Mais de temps en temps une femme s’amène, en pleine fleur, une femme qui fait carrément péter sa robe… une créature sexuelle, une calamité, la fin de tout. J’ai levé les yeux et elle était là, tout au bout du bar. »
Et pour un premier roman, je découvre déjà toutes les facettes du bonhomme partagé entre les femmes, les courses et la boisson. Je le découvre, homme amoureux, homme besogneux, qui met du cœur à l’ouvrage, autant pour distribuer le courrier que pour s’assoir au comptoir ou baiser une pimbêche. Il est unique et empli de bonté et d’humanité dans ce livre, le seul à distribuer avec autant de fidélité le courrier de gens qui l’indiffèrent et le méprisent totalement. Mais, je sens aussi que ce boulot le ronge de l’intérieur, une douleur dans la poitrine qui le comprime et c'est pour cette raison qu'il file au bar et se pinter la gueule. Je lui trouve des excuses à cet homme, ce grand pochtron de la littérature ; parce qu'il sait m'émouvoir...
« J’ai besoin d’une bonne paire de fesses, une jeune, docteur. C’est ça qui tourne pas rond chez moi. »
Un grand roman autobiographique, des vies comme ça couchées sur papier, j’en demande encore et encore. De toute façon, des putains de vie font forcément des putains de livres avec ou sans putain, d’ailleurs. Pas qu’il ne fréquente pas les putains, mais quand t’as arpenté les rues dans tous les sens sous des trombes d’eau ou en plein cagnard, quand t’as besogné grosse, rombière et pimbêche, le soir t’as plus le cœur à l’ouvrage pour arpenter de nouveau les trottoirs nocturnes des putains bandantes sous tout temps. Tu préfères avoir la queue en berne, te poser sur un tabouret et t’enfiler quelques verres sans rien penser. Et peut-être que là, sans rien demander, une femme genre magnifique même à la troisième pinte viendra s’asseoir à côté de ton tabouret, commandera un whisky et une bière, et te proposera de faire l’amour comme une putain. C’est à ce moment-là que tu te dis, putain j’aurais dû être écrivain, et que tu sais que tu tiens une bonne histoire à écrire, si tu trouves un éditeur qui a les couilles de te publier.
« Le matin on était le matin et j’étais toujours vivant.
Peut-être que je vais écrire un roman, j’ai pensé.Et c’est ce que j’ai fait. »
Postier en Californie, niquer en Californie, Californication...

« Le Postier », Charles Bukowski.



18 commentaires:

  1. merde alors ! Je l'ai pas lu celui-là. Je vais rectifier ça illico

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  2. Je ne le connaissais pas celui-là.
    Euh sinon, ça sert à quoi un décapsuleur pour une bouteille de vin bouché ? ^^

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    1. pfff... un décapsuleur... C'est que tu es trop jeune pour sans ce qu'est un tire-bouchon bilame... le must des tire-bouchons

      Le Tire-Bouchon "Bilame", un outil professionnel historique de L'Atelier du Vin depuis 1949 (date du brevet). Le Bilame extrait facilement les bouchons en les laissant intacts, même ceux qui sont vieux et fragiles. Le bouchon n’est pas percé, et donc ne s’effrite pas. Le Bilame peut aussi servir à reboucher la bouteille entamée. La légende dit que le Bilame était très prisé de certains garçons de café, qui s’en servaient pour boire quelques centilitres dans les bouteilles et les reboucher sans laisser de trace d’effraction.

      Voilà pour la leçon d'histoire aux jeunes ignorants de ce monde vinicole ;-)

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  3. Avoir la graine "en berne"..... mdrrrrr
    Bon choix de vin, bon choix de musique ;-)
    C'est beau de t'voir ému face à Bukowski. Aussi ému que le nez enfoui entre une big paire de joes :D
    Un premier roman fait pour toi. Ce doit être quand même touchant de lire les premières lignes d'un homme que l'on admire...

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    1. Merci pour cette belle découverte, ce premier roman d'un grand maître de la vraie littérature, celle des paumés et des pauvres types comme moi...

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    2. La musique, je sais pas... c'est le seul titre qui m'est venu quand je pense à fornication et Californie ;-)

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  4. Rombière ou pimbêche mon cœur balance. En tout cas, Californication j'aime bien.

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    1. Difficile de choisir son camp, entre effectivement rombière et pimbêche :-)

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  5. Bon je n'ai pas cette couverture, mais sinon un beau billet à l'ex-postier qu'il était !
    Premier job qu'il a su tenir après ces petits jobs, qu'il lui a permis de s'essayer et pour nous une belle vision du monde du travail, où l'humain doit faire plus; toujours à la recherche de la performance même dans les tâches répétitives comme dans un centre de tri. Il n'échappe pas à la règle de se trouver face à son supérieur, petit chef nuisible en manque ou recherche d'autorité, le rapport à l'humain parfois difficile avec ces collègues ou clients ... bref, heureusement qu'il a ses femmes de tournées !
    En tout cas une belle dose d'humour et de whisky

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    1. Une très bonne analyse du monde du travail, des tâches ingrates et de la hiérarchie qui se sent si supérieure le cul sur son fauteuil en simili cuir...

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  6. Félure et sensibilité, familiarité, simplicité, ce Chinaski c'est tout toi hahaha

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    1. Sauf que je ne me lève pas autant de poulettes :-))

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  7. Un billet d'un vrai fan de Bukowski. Un écrivain que j'ai lu il y a longtemps, tout à la suite tout que j'ai pu trouver à la biblio. Que je n'ai pratiquement pas relu depuis. Un écrivain qu'il aurait fallu inventer s'il n'avait pas existé. Un écrivain qui avait une grosse de ... parce que pour écrire certaines histoires où il se met si totalement à nu, où il se ridiculise, il faut vraiment en avoir.

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    1. Pas plus de un ou deux par an. Comme Fante. Pour distiller ces plaisirs littéraires au cours de ma vie...

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  8. Bukowski te va comme un gant mon cher Bison. J'ai très envie d'ouvrir à ce facteur ... euh attends ... juste parce que c'est son premier roman et que j'ai envie de voir l'évolution de son écriture, rien de plus.

    Besogner... besogner... pffftt t'as pas un autre mot franchement !
    Ah oui, c'est vrai c'est du Bukowski ... lui ne faisait pas l'amour, il baisait et n------ à tout va !

    Il y avait il un peu de Love suprême dans son cœur quand même ? Je te le demande Bison !

    :-D

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    1. Besogner est si poétique par rapport à niquer. Enfin, ce n'est que mon avis. C'est que cela demande beaucoup d'effort et de travail pour arriver à faire jouir une belle femme. Une moche aussi. Ou une grosse. Ne parlons pas des grosses pimbêches en peignoir saumon qui doit sa couleur à son odeur...

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    2. Je déteste ce mot Besogner, et n----- ne fait même pas parti de mon vocabulaire, je n'arrive même pas à l'écrire tant il est réductif et abject ! Il réduit l'acte d'amour à quelque chose de sale Ouhhhh que j'aime pas ce mot !

      Post Co-ït :

      Va dégeler ton majeur Bibi, ne jamais oublier les préliminaires pour faire jouir une femme et encore moins la n----- ;-)

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