J’assiste
au premier concert du jeune prodige Aksel Vinding à la Philharmonie d’Oslo. Un
triomphe, les applaudissements n’en finissent pas, la tension se relâche, le
public est ému, j’aurai les larmes aux yeux. Quelques années après, « la
société des jeunes pianistes », la musique reste en moi, comme une pensée
continue qui se fond dans mon rythme intérieur. Je ne me souviens plus de ce
qu’il a joué, lors de ce premier concours-récital. J’ai loupé sa création
intime de « la rivière », comme un appel au secours – mais peu
importe, je raccroche facilement à la suite de l’histoire, troisième volume.
Chaque grand moment musical semble coïncider avec un grand déchirement
personnel. Anja Skoog, son grand amour s’est donné la mort au premier épisode.
Il se relèvera auprès de Marianne, la mère d’Anja, qu’il épousera.
Me
voici donc à Oslo, ce nouveau concert, cette fugue d’hiver qui se joue, pendant
que dans la maison Skoog, Marianne se donne elle aussi la mort. L’envie de tout
plaquer, de se retirer de ce milieu, ce monde, pourquoi pas tout au nord de
cette Norvège, là-bas près de la frontière russe, alors que sa maison de disque
lui promet un grand avenir, des tournées européennes, jouer à Vienne… S’isoler
du monde, avec une bouteille de vodka. Plusieurs même. J’aime quand la
littérature déploie des bouteilles de vodka glacée sans compter, que les verres
s’enchainent, la tempête se déchaine, le blizzard, fuck le blizzard, des rennes
traversent la route enneigée, j’hallucine, le majeur se congèle, comment bien
jouer après au piano…
« Je vais dîner seul dans le restaurant de
l’hôtel et boire en silence, jusqu’à en tomber dans les pommes. Je poursuivrai
de longues conversations avec Rachmaninov dans lesquelles je lui demanderai
pourquoi l’âme russe est si violente dans son expression. »
Je me retrouve dans mon élément, une température qui gèle mes neurones pour oublier, une vodka glacée pour m’aider à oublier, le silence intérieure de ma vie entourée de cette musique d’âmes et d’aurores boréales. Je m’imagine bien là-haut, à sentir l’âme russe, à respirer le piano de Rachmaninov, à apprendre à boire la vodka. Parce que tout s’apprend, l’amour et la biture, rien n’est acquis, trouver le courage et le réconfort par ce liquide translucide qui coule dans ma gorge. Je n’ai pas besoin de polar nordique pour m’isoler de ce monde, juste m’abreuver des souvenirs d’une histoire d’amour inoubliable qui commence sur des notes de piano, et des shots d’une vodka peu importe sa provenance.
« La vodka déploie en moi des étendues de
confiance en moi, pareilles à ces inébranlables hauts plateaux du Finnmark. Des
cristaux de neige dansent dans ma tête. »
Faut-il
comprendre la musique pour apprécier ce roman. Comprendre l’amour ?
Comprendre le froid… ou la vodka ? La musique qui y baigne n’efface pas
les peines, n’amoindrit pas le chagrin du deuil, mais ces notes distillées dans
le blizzard, laissent des traces de vie dans le monde intérieur, celui de la
pensée et de l’âme.
La
musique classique devient aérienne dans ces latitudes élevées, elle rencontre
les lueurs boréales et s’emparent de la vie d’un grand pianiste aux contrées du
classique et du jazz, Ketil Bjørnstad.
Il clôt ainsi sa trilogie commencée une dizaine d’années plus tôt, avec autant
de fluidité dans sa plume que dans son toucher pianistique. J’ai autant envie
d’écouter ses disques, « Pianology » par exemple – musique lunaire
bleue nuit, que de découvrir au plus profond de moi-même Rachmaninov.
Des
histoires d’amour et de deuil, une partition musicale du Grand Nord autour de
la peine et de la vodka.
Merci.
« La vodka comme réconfort. La vodka comme
médicament. Je sais désormais qu’elle fournit le combustible nécessaire au
fonctionnement de ma machine et m’apporte l’énergie qui me manque. »
« Fugue d’hiver », Ketil
Bjørnstad.
Je n'ai lu que La Société... Je ne savais pas que deux tomes avaient suivi. C'était un très bon bouquin et Rachamaninov c'est quelque chose.
RépondreSupprimerla société des jeunes pianistes est effectivement inoubliable. Pour cette raison que des années après, on peut reprendre la suite, sans être une suite, sans se sentir perdu. Et puis la vodka aide à se sentir vivant dans cette terre gelée et triste.
SupprimerLa douce mélancolie d'une fugue d'hiver...
RépondreSupprimerla douce mélancolie d'une vodka d'hiver... Ça fonctionne bien aussi ! :-)
SupprimerMoi je dis vive la vodka (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerD'accord avec cette opinion franche et tranchée. Mais pas forcément l'Absolut...
SupprimerPas lu le livre, mais je connais le chagrin du deuil et ce concerto je l'ai écouté des centaines de fois. Comment s'en lasser ?
RépondreSupprimerJe le mets en fond sonore pendant que je m'en vais surfer :-)
L'adagio est une splendeur.
et les vagues viennent de loin. C'est ce qui doit leurs donner encore plus d'ampleur :-)
SupprimerJ’ai manqué aussi l’appel de la rivière et ce troisième tome. Mais en te lisant, j’ai senti cette tempête de froid et de musique traverser mon échine. Elle est remontée jusqu’à mon cœur pour calmer les vertiges du jour. Le majeur en émoi, j’ai pris une gorgée de ta vodka (la dernière goutte, la meilleure) si gentiment offerte, puis j’ai plongé mon âme dans les couleurs des aurores.
RépondreSupprimer« Faut-il comprendre la musique pour apprécier... » Un paragraphe à lire et relire... <3
Qu’il est beau ce billet...
Tabarnak...
Plonger son âme dans les couleurs des aurores... ça doit être beau... Moi, j'ai pas d'aurore par ici, encore moins d'âme... Il me reste juste un fond de vodka suédoise... et une grande bouteille de vodka d'inspiration russe...
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