vendredi 2 février 2018

Dans les Reflets de la Neckar

« Je ne puis me rappeler exactement le jour où je décidai qu’il fallait que Conrad devînt mon ami, mais je ne doute pas qu’il le deviendrait. Jusqu’à son arrivée, j’avais été sans ami. Il n’y avait pas, dans ma classe, un seul garçon qui répondît à mon romanesque idéal de l’amitié, pas un seul que j’admirais réellement, pour qui j’aurais volontiers donné ma vie et qui eût compris mon exigence d’une confiance, d’une abnégation et d’un loyalisme absolus. »

Avant de me plonger dans les premières lignes de ce petit livre, je l’imagine déjà comme l’une des belles histoires d’amitié de la littérature. Hans et Conrad, deux amis fidèles pour la vie. Hans Schwarz est juif, mais bon peu importe, vit dans un univers plutôt bourgeois. A 16 ans, au lycée Karl Alexander Gymnasium de Stuttgart, il ne brille pas plus que ses camarades, mais se fait remarquer par sa solitude. Si les autres le méprisent par moment, il n’en fait guère une affaire personnelle et laisse couler les guerres personnelles comme l’eau de la Neckar qui traverse majestueusement la ville.

Un matin comme tous les autres, ou presque, le soleil plonge la ville dans les reflets de sa Neckar. Ce matin, un nouvel élève entre en scène, Conrad Graf von Hohenfels, une tête d’un blond princier, la noblesse dans ses vêtements et dans son maintien. Une cour s’affaire autour de lui à la cour de récréation, mais il n’en semble guère touché par ses marques de fausses attentions, conscient de son statut familial et de la noblesse de son sang.

« Je ne puis guère me rappeler ce que Conrad me dit ce jour-là ni ce que je lui dis. Tout ce que je sais est que, pendant une heure, nous marchâmes de long en large comme deux jeunes amoureux, encore nerveux, encore intimidés, mais je savais en quelque sorte que ce n’était là qu’un commencement et que, dès lors, ma vie ne serait plus morne et vide, mais pleine d’espoir et de richesse pour tous deux. »

Un coup de foudre dans le genre amitié. Hans et Conrad, deux adolescents qui, à priori, n’ont pas grand-chose en commun, sauf la volonté de s’isoler des autres, commencent à échanger des regards, des invitations, des silences surtout des silences. Les histoires d’amitié sont toujours belles, mais Conrad ne semble inviter Hans dans sa noble demeure que lorsque ses parents y sont absents… Un signe ? Pendant ce temps-là, les moqueries anodines devenues insultes méchantes envers Hans se font de plus en plus fréquentes. Et plus… Le nazisme s’installe tranquillement au pouvoir, et dans les nobles demeures de la région.

Le nazisme, plus fort que l’amitié. Les hommes sont devenus fous. Mais ce n’est qu’une passade, ils vont revenir à la raison, se dirent les plus optimistes. Le père de Hans est décoré d’une noble distinction au cours de la précédente guerre, il n’a guère de soucis à se faire, pourquoi un ancien combattant serait montré du doigt, simplement pour ses origines… Pourtant, il envoie son fils à l’autre bout de ce monde, en Amérique…

Pourquoi me suis-je mis à lire ce court roman, ou cette longue nouvelle ?
Bien sûr, j’en avais entendu parler depuis quelques années, il me faisait envie même, puis j’aime beaucoup les bières allemandes, des blanches qui ont du goût, ou des blondes qui ont du corps, - je me vois encore boire des Paulaner dans le salon de l'amour ou au Café de la Mairie avec Bibi avant d'écouter quelques vieux disques de Krautrock d'un autre temps - et je me vois bien lire et relire Herman Hesse. Alors pourquoi pas Fred Uhlman…
Pour ce récit historique d’une justesse d’émotions, pour découvrir les prémices de l’antisémitisme à travers le regard d’un enfant, pour accompagner mon fils dans cette lecture, programme de 4ème et parce que les histoires d’amitié recèlent souvent des trésors d’humanité, ce qui semble beaucoup manquer à cette époque.

« La politique était l’affaire des adultes et nous avions nos propres problèmes à résoudre. Et celui que nous trouvions le plus urgent était d’apprendre à faire de la vie le meilleur usage possible, indépendamment de découvrir le but de la vie, si tant est qu’elle en eût un, et quelle serait la condition humaine dans cet effrayant et incommensurable cosmos. C’étaient là des questions d’une réelle et éternelle importance, beaucoup plus essentielles pour nous que l’existence de personnages aussi éphémères et ridicules que Hitler et Mussolini. »     

« L’ami retrouvé », Fred Uhlman.





6 commentaires:

  1. En effet, pourquoi pas Fred Uhlman… Les histoires d'amitié sur fond historique j'aime ça... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

    RépondreSupprimer
  2. "Un coup de foudre dans le genre amitié."
    J'adore !
    Sinon ce chanteur, comment dire ? Les mots me manquent...^^

    RépondreSupprimer
  3. À mon sens les plus belles histoires d’amitié, les vraies, sont celles qui s’approchent au plus près du sentiment d’amour, ce coup de foudre dont tu parles. Là où les silences et les regards sont aussi forts que les mots.
    « les histoires d’amitié recèlent souvent des trésors d’humanité »... <3
    (il a dû s’en boire de la p’tite frette de binouze au Café de la Mairie avec Bibi...)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Quelques blondes, quelques brunes et mêmes quelques rousses ont défilés devant nous et l'étendue d'un silence complice.

      Supprimer