jeudi 22 septembre 2022

Cool Jazz

 « Je me rappelle un ciel matinal blond comme de la cendre, un vent chaud qui sentait le charbon et les feuilles de bouleau. La route muette qui se déroulait devant nous. Chip a entrouvert sa fenêtre et, à sentir toute cette poussière, j'ai cru que j'allais pleurer. Je me suis contenté de serrer les paupières, d'enfouir ma figure dans ma veste. »

Berlin, 1989. C’est la chute du mur. Une projection festive, un documentaire sur un groupe de jazz qui fit un disque d’anthologie, 3 minutes et 33 secondes d’émotions et de souffle. Sid, Chip et Hierro, deux noirs de Baltimore et un métis allemand. D’ailleurs Wynton Marsalis sera même présent dans la salle pour applaudir à la projection et à la mémoire de ce trio éphémère. Sid et Chip arriveront sur un tapis rouge, les jambes flasques et tremblotantes par l’âge, la peur…  

Berlin, 1939. Les rues sont devenues grises, les nuits sombres. Il y a encore quelque mois, cela groovait dans les petits cabarets. La jeunesse aryenne s’encanaillait dans cette effervescence presque sauvage, faite par des sauvages… Sid à la basse, Chip à la batterie et le jeune Hierro à la trompette, dans une ambiance enfumée. Deux noirs et un métis allemand quand Goebbels interdit cette « musique nègre », tu imagines le tableau. Nos trois musicos tentent la fuite, vers Paris où ils y croisent un certain Louis Armstrong, la grande vedette de ces temps-là, et ces 3 minutes 33 secondes.  


« Le jazz. Ici en Allemagne c'était devenu pire qu'un virus, On était tous comme des puces, nous les Nègres, les Juifs et les voyous de basse classe, décidés à produire ce tintamarre vulgaire pour entraîner de mignonnes petites blondes dans le vice et le sexe. C'était pas une musique, c'était pas une mode. C'était un fléau envoyé par les hordes noires maudites, fomenté par les juifs. Nous les Nègres, voyez-vous, on ne pouvait nous le reprocher qu'à moitié, c'est tout bonnement plus fort que nous. Les sauvages ont un instinct naturel pour les rythmes dégradants, aucun self-control à proprement parler. Mais les Juifs, mon frère, eux ils faisaient exprès de mijoter cette musique de la jungle. Tout ça faisait partie de leur plan démoniaque pour affaiblir la jeunesse aryenne, corrompre ses filles, diluer son sang. » 

Sauf que tu pressens la suite, les Boches arrivent sur Paris également… Nouvelle fuite… Tu aimes la trompette, tu aimes le jazz, (tu n’es pas obligé d’aimer les nazis), tu découvres ainsi cette ambiance en période de guerre, deux noirs, un métis allemand, en milieu hostile, et au milieu une histoire d’amour, le jazz et l’amour vont de paire. Et je me dis à moi-même, dans le genre susurrement intime, l'odeur de ton jasmin autour de mon cou : « What a wonderful world »… Le jazz, faites l’amour pas la guerre. Mais qu’est devenu Hierro ? Si Sid et Chip ont pu embarquer pour leur pays d’origine, pour ce métis allemand, déraciné et banni de son pays… Le jazz, c’est la vie, le jazz c’est l’amour. Tiens ça me donne envie de me servir un verre et d’écouter quelques vieux trucs, du genre Art Blakey & the Messengers, je prends une guest en plus, Lee Morgan à la trompette par exemple… Au Club St Germain.

« Ecoute, le jazz, c’est pas juste de la musique. C’est la vie. »    

« 3 minutes 33 secondes », Esi Edugyan.
Traduction : Michelle Herpe-Voslinsky.






4 commentaires:

  1. Un livre écrit pour toi Bibi ! :)
    3mn 33 de bonheur !

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    1. Pour moi ou pour d'autres... Un roman où le jazz est au centre...
      3 minutes 33 de bonheur... C'est presque 3 minutes de plus que ce que je ne pourrais tenir dans ce bonheur...

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  2. 1988. Berlin Ouest. SOYCD. 25 minutes et 33 secondes d'émotions. Parts I - IX
    1989. Berlin. 3 minutes et 33 secondes d’émotions.

    J'en déduis que le bonheur dure minimalement 33 secondes. Jusqu'à épuisement des sens...

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    1. le bonheur gicle en 33 secondes, c'est bien connu...

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