jeudi 1 septembre 2022

Les Mouettes d'Aurora


"- Harry, combien de temps faut-il pour écrire un livre ?
- Ça dépend.
- Ça dépend de quoi ?
- De tout."

 
Je me retrouve devant une toile d'Edward Hopper. Les maisons d'éditions aiment particulier ce peintre pour illustrer les romans de leurs auteurs. Peut-être ai-je même choisi d'entrer dans cet univers, juste à cause de l'image de Hopper que je me fais. J'y vois un moment de plénitude mélancolique, plonge dans une Amérique d'un autre temps. une station-service, une église et un diner. Ce dernier est essentiel dans le tableau d'une ville, c'est dedans que se joue toute l'histoire, celle même d'un homme qui va devenir écrivain et qui à force d'observer la jolie serveuse va écrire le plus grand roman d'amour qu'il soit. Un chef d’œuvre. Je m'assois alors, commande une bière, la serveuse me l'amène avec un sourire si charmant. Je laisse le temps défiler devant moi. Je commande une seconde bière, la serveuse me l'amène aussitôt avec un sourire si craquant. Je lui dit que je suis écrivain et rien qu'à regarder son cul je pourrais écrire des tas de poèmes dessus. Juste en caressant ses jambes, j'imagine une lune bleue qui illumine la nudité de son corps. Rien qu'à repenser à son sourire, je pourrais écrire un roman. Au final, c'est facile de devenir écrivain, suffit de trouver la muse qui hantera votre âme jusqu'à l'inspiration.
 
"Si les écrivains sont des êtres si fragiles, Marcus, c'est parce qu'ils peuvent connaître deux sortes de peines sentimentales, soit deux fois plus que les êtres humains normaux : les chagrins d'amour et les chagrins de livre. Écrire un livre, c'est comme aimer quelqu'un : ça peut devenir très douloureux."
Et lorsque je ne suis pas à la table du diner à observer les courbes de la serveuse, je file à la salle. Une salle de boxe qui ne paye pas vraiment de mine, loin des grandes foules de Vegas ou de Kinshasa. Non, moi c'est plus ambiance Fight-Club où j'y vais pour me faire défoncer la gueule. C'est ça aussi être écrivain ou amoureux. Se prendre des coups dans la gueule, dans les tripes, dans les couilles - hou le coup bas. Remonter sur le ring, se refaire démonter, de toute façon le gars en face, il risque pas de démonter mon sourire absent depuis que l'inspiration d'une vie est partie. Alors quoi, un bleu de plus, un nez de travers, une dent en moins, pas grave j'irai voir une assistante dentaire. L'écriture et la boxe même combat ?

"Le jour tombait et la nuit promettait d'être douce et belle; le genre de soirée d'été qu'il fallait magnifier avec des amis, en mettant des énormes steaks sur le grill tout en sirotant de la bière. Je n'avais pas les amis, mais je pensais avoir les steaks et la bière." 

Troisième lieu, je retourne sur mes terres, entourées de silence et de poussières. Je me décapsule une nouvelle bière, sans serveuse, sans sourire. Je suis en train de lire un gros pavé, c'est que j'ai le temps d'aller dans le New-Hampshire prendre la température, affronter la page blanche qui n'est pas resté blanche bien longtemps vu le poids des romans de cet auteur. Je monte sur le ring, je prends un direct, un second, un troisième. Répétitions des coups. Et puis au bout d'un moment, j'essaie l'esquive, j'ai envie de de lui dire, change ton jeu, balance un jab, un crochet du droit puis uppercut si tu veux m'écrouler la face. Là, j'encaisse juste les directs toujours les mêmes, j'ai le sentiment. Le combat ne sera pas d'anthologie comme pour Mohammed Ali. Il tire une piste comme il lance un direct. A peine reçu, il en décroche un second, puis un troisième, si bien que je lis son jeu et qu'il n'arrive plus à me surprendre. Le combat manque de profondeur de jeu. Je tiens les quinze rounds mais j'en suis désolé pour les spectateurs, ce ne fut pas un beau match. 
 
J'entends des mouettes. Les mouettes font Ô HEY HO HEY, célèbre cri de ralliement chez les mouettes du coin pour dire "... j'ai soif, tu me sers un nouveau verre". D'ailleurs, j'ai décidé d'appeler mon premier roman "Les Mouettes d'Aurora". Je sais pas si ça fera une belle histoire, je sais pas si ça fera des lecteurs mais ce que je sais, c'est que boire une bière en regardant le sourire de la serveuse, dans la pénombre d'une lune ou d'un néon bleue, ça me donne envie de me raconter des films, des histoires de cow-boys et de mouettes.
 
"La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert", Joël Dicker.  
 

 

"- Où allons-nous, sergent ?
- Je ne sais pas.
- Que font les flics dans ce genre de moments ?
- Ils vont boire. Et les écrivains ?
- Ils vont boire.
Il nous conduisit jusqu'à son bar de la sortie de Concord. Nous nous assîmes au comptoir et nous commandâmes des doubles whiskys."
 

15 commentaires:

  1. Les mouettes d'Aurora ferait un très beau titre. J'adore cet article uppercutant et toute cette métaphore pugilistique. J'ai relu mon article sur La vérité...neuf ans déjà. Je vacille un peu, ça finira dans les cordes. Edward Hopper c'est toujours inquiétant, et j'aime ça. Pas accessoirement Ray La Montagne, fabuleux. Merci pour tout ça l'ami.

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    1. Il est très bien ton article sur la vérité que je viens de lire (ou relire, ça remonte).
      http://eeguab.canalblog.com/archives/2013/03/07/26483184.html

      Ray LaMontagne, je le suis par période, puis je l'oublie et je le retrouve quelques années après toujours avec autant de plaisirs.

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  2. Le premier commentaire était raté. J'ai jeté l'éponge. Mais l'harmonica quelle merveille.🎶

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    1. Ca fait longtemps qu'on entend plus de l'harmonica par chez nous, à part sur les vieux Dylan ou Young...

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  3. Ta première citation du bouquin montre l'étendue et la qualité littéraire du beau gosse suisse. :-)))
    Je jette aussi l'éponge pour lire ce garçon. Les critiques de son dernier ouvrage sont assassines.
    Il y a même eu une mini série mollasse avec un acteur du même tonneau à propos de ce pauvre Harry.

    L'harmonica est l'instrument le plus mystérieux qui soit, pour moi.

    Quant à Edward Hopper, peintre de la solitude, c'est mon peintre préféré, ex aequo avec Vincent (le Van Gogh) et Emile (le Friant).

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    1. Quoi... Tu n'aimes pas non plus le Docteur Mamour ?! :-))
      J'ai pas vu la série, en tout cas. Finalement le roman me suffit. Et je ne suis pas sûr de continuer, non plus... J'ai bien le livre de Baltimore qui traîne aussi. Je dis pas jamais, mais en tout cas, je ne suis pas pressé de le lire...

      J'aurais pensé que l'harmonica serait pour toi symbole de Clint Eastwood ou Charles Bronson ;-)

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  4. Je n'ai JAMAIS RIEN vu de l'anatomie grise. Les trucs qui se passent à l'hôpital, spa pour moi...
    Et le Dempsey et ses yeux qui tombent on ne peut pas dire qu'il a une carrière ciné de folie, donc je ne connais pas.

    J'ai lu Les Baltimore, je crois que c'est celui que j'ai préféré mais sans plus.

    L'instrument est mystérieux car étant un peu musicienne, je nai jamais réussi à en sortir un son, mais je l'apprécie.

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    1. Je crois que tu n'as pas raté grand chose (même si moi j'ai suivi cette anatomie grise, avec plus ou moins intérêt, intérêt diminuant à chaque fois de plus en plus).

      N'étant ni musicienne, ni musicien, tout ce qui vient souffle m'impressionne car je sais que rien ne sortirai de moi, déjà que même parler relève de l'exploit, alors souffler, j'en parle même pas...

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  5. Je l'avais acheté pour Jeanne (à l'époque, était au lycée) et elle l'avait bien apprécié. Puis j'avais acheté l'autre gros volume à sa suite, mais elle ne l'avait pas ouvert .... Jamais eu la curiosité de les lire, mais son côté "BG" est néanmoins motivant (rires)
    Les avis sont partagés sur son écriture (populaire), mais Idil n'aime ni lui ni mon Sylvain et on peut parler de grand écart déjà ^^ (non ?)

    Bon, comme lorsque je suis fatiguée je suis bavarde (suis la contradiction même), je me suis souvenue que t'avais un blog, aussi ^^
    Au moins, moi, je te lis ... tôt ou tard, même tard ;-))

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    1. Oh oui... Qu'est-ce que j'ai pris de la part d'Idil quand j'ai posté ma première citation !! :-) limite de la haine (envers l'auteur, le bison n'en vaut pas le coup). Moi c'est la curiosité qui m'a poussé à le lire... Je n'ai pas été passionné de bout en bout, mais je ne regrette pas non plus, on va dire une lecture de vacances...

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  6. Hopper en page couverture, je sais que tu aimes ses oeuvres, c'était déjà un bon départ.
    Et puis finalement, j'en déduis en lisant tes mots qu'il n'y a pas de grande différence entre être écrivain et être amoureux. À chacun sa muse. Il n'y a pas de grande différence non plus entre un sourire et une lune bleue. Les deux te mettront KO, dans un coin du ring. Ah l'amour...!
    Ceci dit, j'ai 1 ou 2 titres de l'auteur, il me faudra bien les sortir...

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    1. moi aussi, je dois avoir encore 1 ou 2 titres en plus. Pour le moment ils calent la bibliothèque, on a toujours besoin de quelques poids lourds, que ce soit en boxe, en littérature ou en muse...

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