jeudi 16 mars 2023

Le Chemin Silencieux

One Night in Bangkok, les lumières des ruelles s'animent. Des odeurs enivrent, curry jaune, curry rouge, curry vert... Des étals de marchandises en tout genre, des fumoirs au bord de la route, un pad thaï sur le pouce. Du bruit, klaxons, cris, rires. Touk-touks, vélos, motos-taxis et piétons dans une cacophonie souriante. Et puis le silence. Un moine bouddhiste au coin d'une rue. Des hommes qui se prosternent, des femmes qui se prosternent. Des ladyboys aussi. Et des enfants qui courent autour.  
 
"On choisissait un plat sur l'un des grands plateaux en aluminium - plat rouge, plat orange, citronnelle, citron vert, lait de coco, piment, menthe, coriandre, basilic, cannelle, curcuma, cumin, ail, gingembre. Ou alors on commandait un plat à quelqu'un - une femme - qui le préparait sur-le-champ, dans un wok immense, profond, où elle cuisinait de tout, comme une machine où il suffirait de placer des ingrédients pour qu'elle les mélange, puis les serve juste après en un plat abouti.
Dans un coin, il y avait une femme aux manches retroussées, mèches de cheveux collées à la transpiration du front, qui avait un sourire affable quand des personnes s'approchaient pour lui demander de la soupe. Elle découvrait une casserole, se retrouvait enveloppée d'un nuage de vapeur, et servait des bols en plastique rose ou bleu. Puis, elle les saupoudrait de sauce piment, d'une cuillère de sauce noire, d'un brin de ciboulette haché, et les tendait avec ce même sourire bienveillant.
En montrant du doigt, j'ai demandé une de ces soupes aux nouilles. Usant également de gestes, elle m'a demandé si je voulais du piment, de la sauce, un brin de ciboulette. Je voulais tout. J'ai reçu le bol et le sourire."
 
A la poste de Bangkok, trois colis à destination de Las Vegas ont été interceptés. A l’intérieur des restes humains – la tête d’un bébé, le pied droit d’un enfant, des bouts de peau tatouée… Qui peut se faire livrer ce genre « d’articles ». Il se pourrait même que ces bouts humains auraient été achetés sur ce marché. On y trouve de tous, de la coriandre, des vis ou des cœurs humains… C’est aussi ça Bangkok. L’auteur-voyageur en reste perplexe. Un autre voyage remonte à sa surface, Las Vegas, il connait déjà, il a plusieurs fois remonté le Strip au cours de ses reportages.  
 
"A cette heure du début de la nuit, dans Bangla Road, à quelques mètres de la plage de Patong, à Phuket, il y avait de l'euphorie sur ces visages brûlés par le soleil, rouges, certains avec la marque des lunettes noires dessinée autour des yeux. Les enfants étaient effrayés par la jeune femme recouverte de scorpions, derrière un seau pour les pièces de monnaie. Les majeurs - femmes et hommes - étaient impressionnés par les bars grands ouverts sur la rue, les jeunes femmes presque nues perchées sur les comptoirs, les ladyboys presque nues, perchées sur les comptoirs, la suggestion de la sensualité, sexualité, pornographie, le bruit de la musique qui rendait tout plus théâtral, et les lumières tapageuses qui rendaient tout plus féerique.
Traversant ces courants, se frayant un chemin, des ladyboys ou de jeunes femmes trop maquillées, jupes courtes, chaussures à talon haut, émergeaient de la foule. Elles se baissaient jusqu'à s'accroupir devant un moine qui était assis en bordure du trottoir, entre des gobelets en plastique vides et des ordures, avec une petite statuette dorée de Bouddha devant lui.
À côté de la foule qui passait, ils étaient seuls. Ensevelis par le bruit, ils demeuraient dans un silence absolu. Elles. tête baissée, tenant des bâtons d'encens entre les doigts. ou juste les mains jointes, le moine remuant les lèvres en bénédictions - illuminés tour à tour de pourpre, rouge et bleu."  

José Luis Peixoto m’a embarqué ainsi dans sa Thaïlande, comme si chacun avait sa propre vision de ce pays. Elle est si riche qu’elle en apparait totalement différente aux regards des uns et des autres. Dans ton silence, tu découvres ce pays, son silence, ce décor, ces gens. Loin d’être une visite touristique organisée, ce voyage a pour but de découvrir les senteurs d’un pays, son âme et son bruit. Le meilleur guide pour la Thaïlande. Une déambulation colorée où l’auteur n’hésite pas à faire des parallèles avec Lisbonne, son histoire, son enfance, sa culture. Et de ses tatouages...

"On a l'habitude d'appeler silence les sons tels que ceux-là - le chant transparent d'un oiseau ; l'existence universelle des insectes, inséparable de tout ; une brise très ténue qui passe à la surface des étendues de riz.
Le vert se mêlait au jaune dans le lointain. Le son de mes pas dans le riz, dans les broussailles, c'était également du silence. Mon poids s'affaissait lentement sur ce sol capitonné. J'ai saisi un brin entre les doigts. Ils étaient gros ces grains de riz, enveloppés d'une gousse verte, ils étaient délicats au toucher.
Au fond, loin, on distinguait quelques maisons entre les arbres - on aurait dit qu'elles se cachaient. Ces rizières sentaient la terre, elles étaient traversées par une route fine sur laquelle un vélo pourrait à peine passer.
J'aurais pu rester là pour toujours, spectateur du passage de lourdes gouttes ; puis l'air plus chaud et sec ; ensuite, plus frais, presque frais. Comme les rizières, moi aussi je me mettrais a l'heure de cet état d'être. La vie ne serait pas seulement facile, elle ne l'est jamais, mais il m'a semblé un instant qu'elle serait plus simple.
Là - sans touk-touks, sans autels, sans pad thaï, sans plages de cette couleur ou mer de cette couleur, sans les multitudes qui veulent la même chose -, c'était aussi la Thaïlande.
Ce silence, c'était aussi la Thaïlande."
 
Le chemin est imparfait, il part de Lisbonne, une escale à Las Vegas avant de parvenir à Bangkok. Le chemin n’est pas parfait et la Thaïlande n'est pas que boxe, massage et ladyboys. Aux premiers abords, je n’avais pas trop envie d’y poser mon vieux cuir, à cause de ces préjugés. Après la lecture de ce « guide » pour touriste aimant prendre son temps, j’ai maintenant l’envie de découvrir les lumières et les silences de ce pays. Le chemin silencieux.

 
« Le Chemin Imparfait », José Luis Peixoto.
Traduction : Patricia Houéfa Grange.


Sur une masse critique, 
Merci donc à Babelio et les éditions Gope
pour ce chemin thaïlandais...





4 commentaires:

  1. Je n'ai pas trouvé Esprit d'hiver alors je commente ici même si ça n'a rien à voir avec l'histoire du tatoué et que j'aime bien Murray.

    J'ai dévoré Esprit d'hiver en 2 nuits d'insomnie. Comment j'ai flippé et rien vu venir alors que je racontais le début de l'histoire (environ la moitié) à ma Poupée qui me dit bien moqueuse et bouche en coin que la gamine doit être possédée et ajoute : ah oui tu crois qu'elle est enfermée dans sa chambre pour préparer un super cadeau de Noël à ses parents, genre !!!
    Naïve que je suis.
    J'ai beaucoup aimé mais je ne pourrais pas en lire 2 comme ça à la suite. Je me suis même levée une fois pour aller vérifier d'où provenaient ces bruits bizarres. Comme d'hab c'était mon poisson rouge qui fonçait dans les cailloux...
    Je suis pourtant allée me renseigner sur l'œuvre de la dame perturbée...
    Merci donc pour la découverte.
    Tu en as lu d'autres ?

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    1. Esprit d'hiver, je ne l'ai pas lu, je me suis contenter de voir la belle et blonde Audrey Fleurot dans son adaptation Arte... Mais j'y viendrais certainement un jour.
      J'ai déjà lu de Laura Kasischke, "Un oiseau blanc dans le blizzard" (on en a déjà parlée, Eva Green) et puis "Rêves de garçon" (ma passion pour les pom-pom Girls). Par contre, il me reste "La Vie devant ses Yeux", et comme ça fait longtemps que je n'ai pas lu l'auteure, je me dis que c'est peut-être le bon moment pour le dépoussiérer...

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    2. Alors tu offres des livres que tu n'as pas lu !
      Et comment était la série ? Je l'ai cherché mais elle n'est plus sur Arte. C'est à cause du synopsis mal fagoté sur Télérama que j'avais zappé. Je le regrette.

      Quelle mémoire !!! Je ne me souviens plus de ce qu'on disait à propos de l'oiseau blanc...

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    3. Désolé... D'habitude, je lis généralement les romans que j'offre. Mais là, pas eu le temps. Mais là, j'avais confiance en l'auteure, pour l'avoir déjà pratiquée... Et puis, le yoga et tout ça, j'avais compris que tu n'avais pas pu voir la série, c'était donc l'occasion...

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