Viens. Viens, j't'emmène au bout du monde. Un monde de poussière et de violence. Un monde, dans le Texas des années 1850, où je croise un gamin venu rejoindre une bande de types, juges ou prêtres, des scalpeurs d'indiens, mais pas que... Scalpeurs de mexicains, mais pas que... Scalpeurs de nègres, aussi... Fuir le monde ou se construire un monde, telle est la motivation du p'tit.
"La nuit venue une seule âme se leva par miracle d'entre les corps fraîchement tués et s'éloigna furtivement à la lueur de la lune. Le sol sur lequel il était resté tapi était trempé de sang et imprégné de l'urine des bêtes dont la vessie s'était vidée et il allait, souillé et pestilentiel, fétide rejeton de la femelle incarnée de la guerre. Les sauvages s'étaient retirés sur les hauteurs et il apercevait le reflet de leurs feux et il pouvait les entendre chanter leur étrange et plaintive mélopée là où ils étaient allés faire rôtir les mules. Il se glissa parmi les gisants pâles et écartelés, parmi les chevaux étalés sur le sol les membres épars, et il releva sa position d'après les étoiles et partit à pied vers le sud. La nuit prenait des milliers de formes là-bas dans les buissons et il gardait les yeux fixés sur le sol devant lui. La lueur des étoiles et la lune en son décours traçaient l'ombre vague de sa marche sur l'obscurité du désert et les loups hurlaient le long des crêtes et se dirigeaient au nord vers le lieu de la tuerie. "
Viens. Viens, j't'emmène pour une longue traversée du désert, sous un soleil implacable, avec des hommes implacables. Dans la poussière de ce monde, tu chevauches les ténèbres, à travers des corps en putréfaction, des chevaux et des hommes, et des os blanchis de bisons. Des rivières asséchées et des ravines de sang. Sous le regard de la lune, les loups hurlent une certaine mélopée de leurs vies.
"Cinq chariots achevaient de se consumer sur le sol du désert et les cavaliers mirent pied à terre et s'avancèrent en silence entre les corps des chercheurs d'or massacrés, ces bons pèlerins anonymes parmi les pierres avec leurs atroces blessures, les viscères répandus sortis de leurs flancs et les torses dénudés hérissés de hampes de flèches. Certains devaient être des hommes à en croire leur barbe, mais ils portaient entre leurs jambes d'étranges plaies menstruelles et il n'y restait plus rien de leurs parties viriles car elles avaient été tranchées et pendaient sombres et insolites à leur bouche grimaçante. Ainsi couchés avec leur perruque de sang coagulé ils contemplaient de leurs yeux simiesques le frère soleil qui se levait à l'orient."
Viens. Viens, j't'emmène au vent, là où les mots s'envolent à l'encontre de l'horizon, bien au delà du soleil couchant. Un monde où la poésie se mêle de morts, de têtes scalpées quand elles ne sont pas tranchées. Là-bas, même les charniers paraissent lyriques. Et sous la beauté de la lune bleue, l'ombre du coyote solitaire se dessinant dans ses courbes, je vis le moment littéraire le plus violent de ma vie. Une violence inouïe que je n'avais jusqu'ici pas le courage d'imaginer, que je ne pouvais même pas envisager tellement cette chevauchée de l'Ouest baigne dans des flots de sang et de poussière. J'ai compris une chose, au delà de toutes mes certitudes : ce pays a soif de sang.
"Y a quat'choses qui peuvent détruire le monde, dit-il. Les femmes, le whisky, l'argent et les nègres".
"Méridien de Sang", Cormac McCarthy.
Traduction : François Hirsch.
"Comment ces choses-là se
terminent. Dans la confusion et les jurons et le sang. Ils continuèrent
à boire et le vent soufflait dans les rues et les étoiles qui avaient
été à la verticale reposaient très bas à l'ouest et ces jeunes hommes se
prirent de querelle avec d'autres et des paroles furent prononcées qui
ne pouvaient être retirées et à l'aube le gamin et le sous-brigadier
étaient agenouillés auprès du gars du Missouri qui avait été baptisé
Earl et ils dirent son nom mais jamais il ne répondit. Il était couché
sur le côté dans la poussière de la cour. Les hommes étaient partis, les
putains étaient parties. Un vieillard balayait le sol d'argile à l'intérieur de la cantina. Le gars gisait dans une mare de sang le crâne
brisé, nul ne savait par qui. Un troisième homme vint les rejoindre
dans la cour. C'était le mennonite. Il soufflait un vent chaud et
l'orient contenait une lueur grise. Les oiseaux juchés parmi les vignes
avaient commencé à remuer et à appeler.
Y a jamais autant de plaisir à la taverne que sur le chemin qui y conduit, dit le mennonite."
Même l'horizon est rouge sang dans ce Cormac on dirait.
RépondreSupprimerTu me tentes bien...
Il faudrait que j'arrête un peu les pavés pour lire plus et plus varié. Mais c'est peut-être un pavé.
Et quand même : "ils portaient entre leurs jambes d'étranges plaies menstruelles et il n'y restait plus rien de leurs parties viriles car elles avaient été tranchées et pendaient sombres et insolites à leur bouche grimaçante"... ça fait peur.
Belle chanson.
Bon moi aujourd'hui je retourne voir et déguster les 3000 vers de Cyrano. 3 h de route aller retour quand même mais quand on aime, bla bla bla.
Faut absolument te laisser tenter par ce Cormac. Pas un pavé, 450 pages, juste nécessaires. D'autant plus, que cela fait des années qu'une adaptation est dans les tuyaux... Plusieurs s'y sont tentés sans succès mais elle semble en bonne voie (2024...) avec John Hillcoat, réalisateur de "La Route" du même Cormac...
SupprimerJe me suis pris une sacrée claque dans la gueule à la lecture de la trilogie des confins et Méridien de sang. Mes joues sont restées rouges très longtemps. Haha. Ce style, ce lyrisme, ce monde, ce crépuscule...
RépondreSupprimerPar contre, je ne connaissais pas Gov't Mule. Très bon !
A bientôt.
Ouais... Ça c'est de la belle claque qu'on aime se prendre dans la gueule... Un jour j'y retournerais, c'est sûr, pour explorer les Confins...
SupprimerGov't Mule, avec Warren Haynes, groupe dissident et concomitant des Allman Brothers Band, qui fait dans le blues-rock sudiste... J'écoute ça à longueur de semaines...
Tu sais déjà combien j'aime ce bouquin. Idem pour Gov't Mule. 😀🎸
RépondreSupprimerYes l'ami ! Un bien beau et grand roman qu'on ne peut qu'aimer pour peu qu'on ne s’évanouisse pas à l'évocation d'une goutte de sang :-)
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