jeudi 31 août 2023

Et je disparaîtrai dans la nuit

Nous sommes au printemps 1974, pas très loin de Sacramento, Californie, à Rancho Cordova précisément. Il commence à faire nuit, quelques lumières s'illuminent dans des pavillons jusqu'ici paisible. Certains postes de radio sont allumés, branchés sur KRXQ 98.5 FM où est diffusé un live de Grateful Dead. Le bonheur made in California. Une voiture de Police patrouille tranquillement, l'air de rien, histoire de prendre l'air sous la voûte étoilée. Un contrôle de routine, vos papiers, circulez... Et si, et si...

Un premier cambriolage dans cette banlieue des plus paisibles. Puis un second. Un troisième. Et puis comme une escalade, il attache une fille, une femme... Et il leur dit des trucs genre : Et je disparaîtrai dans la nuit. Effectivement plus aucune trace... Jusqu'à une nuit prochaine. Mais ces enchaînements de cambriolages, cette violence qui commence à poindre, les habitants ne se sentent plus en sécurité. Systèmes d'alarme, achats d'armes à feu, ils se protègent comme ils peuvent. Mais les patrouilles de Police restent inefficaces. Aucun signal ne crachote de leur radio, Zebra3 à vous. Au journal télévisé, le présentateur finit sa présentation par cette phrase qui trottera dans la tête pendant des décennies : "La Californie a peur...". Surtout que cet individu, sans trace, ne se contente plus de voler, il viole, il tue.
 
Au final, cela sera au moins 13 meurtres, plus de 50 agressions, 200 cambriolages. Et surtout 42 ans de traque... Bienvenue en Californie, là où le soleil brille et les filles se promènent en bikinis.

"Il se tourne vers ses collègues et leur dit : « Je crois qu'on un putain de violeur en série sur les bras. »" 
 
Alors, le dos fourbu dans mon vieux pick-up à traverser les méandres de cette banlieue, je stoppe au Pine Cove. Je m'assois au comptoir, commande une bière, en offre une à mon voisin de droite, Richard Shelby. Ritchie était flic dans le temps, maintenant à la retraite. Pendant des années il a traqué ce type que les journaux ont surnommé le East Area Rapist, d'autres le Golden State Killer, voir l'Original Night Stalker. Flic un jour, flic toujours, il a gardé les coupures de presse sur l'affaire, les dossiers aussi que chaque nuit, il relisait. Des nuits à patrouiller feux éteints, écoutant le silence - on apprend beaucoup du silence, j'opine de la tête - et chaque matin, il se demande ce qu'il a loupé. Une obsession, cette affaire, un cold case dont il ne se remettra jamais, comme l'échec d'une vie, celle d'un policier à Rancho Cordova.

Quelques lumières commencent à se rallumer dans les maisons, au rythme des changements de tons du ciel. J'ai roulé toute la nuit, à la recherche du Golden State Killer, d'une trace de son passage. Mais plus le temps avance, plus il se fait rare. Se fait-il vieux ou a-t-il peur des nouvelles techniques d'investigations ? Je m'arrête au Marie Donut's, un café et un Donut's, et je croise Michelle McNamara, journaliste-écrivaine qui a passé sa vie, et plus, jusqu'à l'obsession au détriment de sa vie familiale, à essayer de démasquer ce Night Stalker. C'est ce fait qui me frappe le plus dans cette affaire. Lorsqu'on s'y frotte, qu'on soit simple flic, enquêteur privé, ou journaliste, on s'investit totalement jusqu'à en oublier sa vie. Mais qui sait, un jour, peut-être ou pas, la Californie pourra redormir en paix... Mais ce n'est pas gagner d'avance, tant cette terre ensoleillée semble accueillir tant de détraqués : Charles Manson cheveux hirsutes et regard du diable, le Zodiac et ses signes cabalistiques, le Stinky Rapist et son odeur d'essence, le Sacramento Vampire qui boit le sang de ses victimes... et j'en passe... Je retourne au Pine Cove, un whisky pour tenir le coup.
 
"Comment est-il possible que la Californie, cet éden du rêve américain, cette promesse d'amour, de soleil et de vie nouvelle, ait versé dans l'horreur ? Accoudés au comptoir du Marie Donut's ou du Pine Cove, les QG qui leur servent de soupape, les policiers de Sacramento terminent souvent leurs nuits avec cette question. Aussi souvent, ils rentrent chez eux sans la réponse."
 
"L'Affaire du Golden State Killer", William Thorp



2 commentaires:

  1. Ah Sweet Old California, son Peace and Love, ses surfers peroxygénés et maintenant leurs prothèses capillaires sa musique éternelle, sa durée de vie moyenne de 30 ans,ses substances et ses sympathiques tueurs en série. Ce bouquin a fort bonne presse et 10-18 fait toujours du bon boulot. Plus ce bon vieux standard de Morning dew par ce bon vieux Grateful Dead, bientôt plus Mort que Reconnaissant. Thank You Man. J'apprécie.

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    1. Je fais "genre" mais au final, je connais très mal ce vieux Jerry Garcia dans sa Mort Réjouissante. Bien moins bien que toi dont je connais ton fort penchant pour ces lieux et périodes... Je Suis passé un peu à côté... mais de temps en temps, j'essaie de m'y plonger, notamment quand j'ai besoin d'illustrer la côte Ouest des seventies...

      Pour le bouquin et cette collection 10/18, je ne sais pas encore trop... Celui-là, il m'a manqué tout de même de la profondeur, et même si cela se veut plus du journalisme que de la littérature, j'aurais apprécié plus d'émotion... Cela reste très clinique et assez énumératif. J'essaierai tout de même un second épisode de cette collection pour voir...

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