dimanche 3 septembre 2023

Minuit Clair

 Minuit Clair.
 
Voici ton heure mon âme, ton envol libre dans le silence des mots,
Livres fermés, arts désertés, jour aboli, leçon apprise,
Ta force en plénitude émerge, tu le sais, tu admires, tu médites tes thèmes favorise,
La nuit, le sommeil, la mort, les étoiles.
 
Walt Whitman.
 
La nuit traverse ma vie. Elle illumine mes pages. Lorsque le sommeil n’a pas frappé à la porte de mon pub, je pense à la mort, je regarde les étoiles. Les pages de ma vie ne sont guère grandes et imagées, alors je me tourne vers d’autres pages, celles de Whitey, sexagénaire, blanc et respectable, deux mots qui vont ensemble. Père de 5 enfants, et surtout ancien maire de la petite bourgade de Hammond, État de New-York. Là-bas, il ne fait pas nuit, c’est bien au petit matin, au bord d’une petite route, que sa route s’arrête. Devant lui, deux policiers semblent admonester brutalement un jeune gars, noir ou basané, peu importe. Droit dans ses mocassins et son ancienne autorité, il décide de s’en mêler, impulsions électriques. Sa nuit commencera quelques jours plus tard. A l’hôpital. Au cimetière. Chez le notaire, un testament à lire.

« La lecture d'un testament est une zone de turbulences : après qu'il a été lu, secousses et ondes continuent comme après toute agitation de l'air, de l'eau ou de la terre.
Un verre serait le bienvenu ! Thom dit cela sur le ton de la plaisanterie, espérant qu'un ou deux des autres s'exclameraient : Et comment ! Faisons ça sur le chemin du retour, excellente idée.
Beverly, les yeux gonflés, se lécha les lèvres. (Thom le vit.) Mais non...
Lorene, non. Sophia, non. Et Jessalyn, naturellement - non.
Merde, eh bien, il boirait son coup tout seul. Cela valait peut-être mieux, de toute façon.
Buvait-il trop ? Si personne n'est là pour le déterminer, où commence le trop ? »

Le sommeil fuit ma vie. Il s’échappe de la fenêtre de mon âme, et laisse ainsi divaguer de sombres pensées, la nuit, sur la mort, sur les étoiles. Alors, je plonge dans un roman de grande envergure. Comme un albatros déployant ces ailes, le roman déploient ses pages. Presque 1000 au compteur. Ça en fait une sacrée vie, celle de Whitey, de sa veuve et de sa succession. Le roman de ma vie aurait du mal à contenir 10 pages. 923 pages, je mets un peu plus de précision dans mes dires, et peut-être qu’à compter les pages comme on compte les moutons, le sommeil va s’emparer un peu de ma vie. Plus de 900 pages donc passionnantes de bout en bout.

La mort obsède ma vie. Elle est là tapie dans la nuit, se faufile entre le sommeil et les étoiles, sous le bel œil de la lune, bleue dans ma tête, brillante dans le ciel. La mort, et dire que je n’aurais pas lu toute la biographique de cette grande écrivaine qu’est Joyce Carol Oates. J’ai arrêté de compter, je fais genre mais je sais pertinemment qu’avec celui-là, j’en suis au dixième, comme autant de bières bues au cours de ce pavé littéraire. Mais quand on aime on ne compte pas. On pense simplement au silence de l’amour. Et un peu, beaucoup, passionnément, à la mort. JCO, je fais au plus court pour épeler son nom, avant que la mort ne l’emporte sur ma chronique, fait partie de mes grands auteurs de la littérature américaine. Rien ne sert à faire un classement de ces œuvres majeures, mais ce dernier atteindrait certainement les cieux de ses écrits.

Les étoiles brillent de leurs milles éclats, de leurs milles vies. A illuminer ma nuit, mon sommeil, ma mort. Là-haut, je m’y vois déjà, tutoyer la lune bleue, la caresser au plus près de mon regard silencieux. Mais avant, redescendre, des cendres éparpillées, aux pieds d’un sequoia ou d’un rosier, racines emmêlées de la société nord-américaine. Joyce Carol Oates distille par ci par là, entre moments de grâce et de torpeurs, quelques bribes de racisme, de bourgeoisie et de néo-hippie. Au sein d’une famille presque ordinaire qu’un instant presque ordinaire a bousculé, bouleversé, c’est tout le traumatisme d’une Amérique qui se dévoile au cours de ces 1 kg 075 de littérature, lourde, riche et enivrante.     

« Il s'était noyé, mais n'était pas mort. Il était mort, mais était toujours là.
Des deux, quel était le mieux ? Il verrait. »

« La nuit. Le sommeil. La mort. Les étoiles. », Joyce Carol Oates.
Traduction : Claude Seban.



« Jessalyn était monté se coucher presque dès leur retour de l'hôpital. Sophia s'était esquivée pour aller se blottir sous une couette dans son ancien lit, ne retirant que ses vêtements de dessus et ses chaussures. Et Virgil, le frère exaspérant, n'avait pas trouvé d'endroit où dormir dans la maison ni rejoint les autres dans la cuisine pour un whisky tardif, il avait préféré aller errer dehors dans la pâle et froide lueur d'un quartier de lune.
"Qu'est-ce qu'il fait à votre avis ? Il communique avec les extraterrestres ?"
Ils s'esclaffèrent, d'un rire méprisant. Mais avec gêne.
(Avalant une gorgée de whisky, qui produisit une merveilleuse sensation de chaleur dans sa gorge et dans la région de son cœur, Beverly pensa : Qui sait ? Leur frère ressemblait lui-même à un extraterrestre !)
(Elle se rappela un film qu'elle avait vu adolescente : L'homme qui venait d'ailleurs ? L'androgyne David Bowie avec ses yeux étranges dans le rôle d'un extraterrestre ayant une sorte de plan voué à l'échec pour... quoi ? Elle avait oublié, ou cela lui avait paru trop obscur à l'époque.) »

5 commentaires:

  1. Voici donc ce fameux pavé d'Oates que tu évoquais en commentaire de mon billet sur "Un livre de martyrs..". Bon, tu m'as convaincue de l'ajouter sur ma pile à lire, aux côtés de Blonde ..

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    1. Blonde est probablement le seul que je n'ai pas envie de lire... le sujet, Marilyn, je sens que ça sera pas mon trip, malgré toutes les heures de lectures passionnantes que l'auteure m'a déjà offerte

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    2. Moi non plus, je ne suis pas très attirée par le sujet, mais si j'en crois une des blogueuses dont je suis fidèlement les conseils depuis très longtemps, la manière dont elle s'en empare est virtuose !

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  2. J'ai honte. Je n'ai lu qu'un très court roman de cette grande écrivaine.
    Je connais très peu Bowie. Jamais trop emballé. Mais j'avais déjà entendu Blackstar et aimé. Et maintenant Lazarus. Il faut que j'écoute ce disque en entier.
    A bientôt.

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    1. Ce Blackstar, album posthume est pour moi le plus beau, le plus intense, le plus émouvant de David Bowie...
      Quand à Joyce Carol Oates, elle est si prolifique qu'il peut y avoir des livres qu'on adore, d'autres un peu moins, certains peut-être pas du tout (bien que ça ne me soit pas encore arrivé)...

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