mercredi 13 décembre 2023

L’homme parfait s’appelle Bertrand


Aujourd'hui, je découvre Eric Reinhardt comme on découvre une forêt ou un amour. A petits pas, j’avance dans l’histoire, prenant le temps de respirer entre chaque paragraphe, car c’est du lourd, aussi lourd qu’une vieille souche abandonnée d’un arbre presque centenaire, qu’au aura coupé par sadisme ou par déchéance. 

Dans cette forêt entre Metz et Strasbourg, vit un homme des Bois, aussi gentil que Robin, maniant tout aussi bien l’arc et les flèches. Mais surtout, j’essaie d’apercevoir dans la pénombre sylvestre le regard souriant d’une Bénédicte Ombredanne. Dans cette forêt, elle a retrouvé le sourire perdu il y a plus de dix ans. C’est que la vie entre Metz et Strasbourg ne prête pas à sourire, surtout en hiver, mais ce n’est pas le moment de plaisanter, car ce roman n’en demande pas. Il est sombre, difficile, cruel. Il est émouvant, poignant, plombant. Alors une certaine rage s’empare de moi, comment est-ce possible, comment est-ce envisageable. Et pourtant, oui, je n’ai guère de mal à ressentir ce mal-être, cette souffrance inadmissible, le harcèlement mental de son mari. 

« C'était la première fois qu'elle roulait sur le segment sud de l'autoroute A4, entre Strasbourg et Metz. 
Sur le tronçon nord, qu'en revanche elle empruntait régulièrement pour aller voir ses parents en Champagne, des panneaux se succédaient qui attestaient que l'histoire de cette région n'avait été qu'une suite de traumatismes et de péripéties blessantes ou décisives : VERDUN, L'OSSUAIRE DE DOUAUMONT, LA VOIE SACRÉE, LA BATAILLE DE VALMY, LES TAXIS DE LA MARNE, LA FUITE À VARENNES, GRAVELOTTE 1870, de sorte que l'automobiliste, au fil des kilomètres et des pancartes, finissait par se demander si l'existence de tout un chacun ne serait pas de la même façon une suite de traumatismes et de conflits, d'attaques, d'injustices, de spoliations, d'hostilités sanglantes et destructrices, mais dans une impassible continuité paysagère, une résistance aux faits, une forme d'indifférence aux souvenirs de la douleur, avec même, parfois, certains jours, de grands et réjouissants ciels bleus, des oiseaux mouvementés. On a beau devoir faire face aux événements les plus pénibles, on avance, les arbres repoussent, le temps passe, on peut renaître, il y a de lentes postures de ruminants aux endroits où s'amoncelaient les cadavres, les jours s'écoulent et continuent leur incessant décompte. Ce trajet nous enseigne que notre vie est bel et bien le ciel des événements désagréables qu'on est amené à affronter, qui n'en sont que le sol, la terre, et les cailloux : les champs de bataille. »

Qu’est-ce qu’il m’a pris de lire un tel roman ? En fait, c’est grâce à – ou à cause de - Virginie Elfira, quelle belle femme. Oui j’ai vu Virginie Elfira, elle est belle non, ah Virginie, elle est magnifique non, dans une forêt, elle est sublime non, Virginie pas la forêt, et elle me parle d’amour et de forêt, d’un homme dans les bois, bref de l’histoire de ce roman. Alors quand je tombe sur ce dit roman, je m’en empare aussitôt et le dévore comme on dévorerait un bretzel chaud (ça c’est pour le côté Est de la France) avec une pinte de bière. Et malgré la dureté de l’histoire, j’ai trouvé une certaine poésie dans les mots de l’auteur qui pour l’occasion se met aussi en scène dans les pages de son roman. Il y a quoi devenir un peu dingue, comme Bénédicte. Et tout au long de cette longue descente aux Enfers de la violence conjugale, je – tu, on – ne peux m’empêcher de lui demander de partir, s’enfuir ou se rebeller. Avant de la voir abandonner. Et moi, dans tout ça, bien au chaud sous mon plaid, le verre vide à la main, j’abandonne pas, Virginie Elfira ou Eric Reinhardt. Oui, je relirai certainement d’autres romans de cet auteur. « L’amour et les forêts », un joli titre tout de même. Cette escapade en forêt s’avérera une magnifique bouée d’oxygène, car là-bas, il peut y avoir de belles âmes qui y résident. L’homme parfait s’appelle Bertrand, et tu seras « sur le cul », ou pas… 

« Regardez, l'ai-je entendu dire, regardez comme la lumière est belle, aujourd'hui elle est miraculeuse, on la sent vibrer dans l'atmosphère comme des milliards de particules. J'ai l'impression que si j'avance la main vers la beauté de cette vision je vais pouvoir la toucher et qu'elle va réagir, comme quand on pose les doigts sur le pelage d'un chat. »

« L’Amour et les Forêts », Eric Reinhardt.




11 commentaires:

  1. Virginie je l'appelle la merveille, ya rien à ajouter.
    Bertrand j'adore chaque fois que j'entends. Il faudra que je m'intéresse à son cas, car chaque fois il me laisse sur le cul. Et dans le film il est... enveloppant. J'ai eu peur quand même, la scène est marquante.
    Coté Reinhardt, je le trouve tellement antipathique que je ne lirai sans doute pas. Et les extraits de sa prose ici ne m'inspirent guère. Je déteste l'expression tout un chacun. La longueur des phrases : au secours !!! Et je trouve le récit du périple sur l'A4 digne dune rédaction de CM2.
    Je ne suis pas surprise qu'il se mette en scène dans son livre car je le sens très imbu de lui-même.
    Et lors de la sortie du film il en avait spoilé la fin dans ma France Inter car pour lui aucun doute que la France entière avait lu son roman... Et ben non Riri. Le voilà rhabillé pour l'hiver.

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    1. Je ne connais pas Reinhardt, la personne, jamais vu, jamais entendu, mais j'ai beaucoup aimé ce roman, dont je connaissais du coup un peu l'histoire. D'ailleurs, le roman et le film sont traités de façon différentes. Mais bon, moi j'aime les phrases à rallonge. En tout cas, il n'a pas besoin se s'acheter un manteau pour cette hiver le Riri :-))

      Chaque fois que je vois Virginie, elle me laisse sur le cul, une merveille comme tu le dis... Bertrand, moi aussi, j'ai à le découvrir...

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  2. Peut-être pas antipathique mais prétentieux le gars et ça, j'aime pô.
    Et les phrases à rallonge, j'aime pô non plus.
    Et oui, il aura pas froid cet hiver.
    Le Belin en concert, ce doit être quelque chose.
    Et notre Virginie... parfois je regarde des photos d'elle juste comme ça, pour me faire du bien (ou du mal).
    Tape dans ton google Virginie à la Mostra 2022... Sa robe blanche et elle dedans : une oeuvre d'art.

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    1. Oui Belin, il est passé par chez moi l'année dernière... mais je n'ai pas pu, je crois que c'était un peu trop près des Feu Chatterton ! fallait faire un choix... j'espère tout de même qu'il repassera...

      Quelle robe rouge !

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  3. Tu parles de Feu pour me faire souffrir, moi qui ne les ai pas encore vus entendus ? En ce moment j'écoute en boucle la chanson d'un film (pas terrible) qui m'enchante.

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    1. Le chatterton met en émoi
      pour étouffer ces voix
      mettant le feu à mon quoi

      si tu veux poursuivre cette voix,
      avec un grand pianiste de jazz
      que j'ai du voir aussi, il y a bien longtemps
      https://www.youtube.com/watch?v=jJIkMWGTNgA

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  4. https://youtu.be/avSQsiW2s7E?si=crO-KwOaTt8CKNpJ

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  5. Un roman fascinant et effrayant... tellement meilleur que le film qui n'est pourtant pas si mal.

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    1. J'ai beaucoup aimé le film, au même niveau que le roman... Un trio d'acteurs formidable...

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  6. Tu as bien résumé l'ambiance et la tension.
    Un roman et un auteur qui ont fait polémique... Je l'avais lu deux ans après sa sortie. J'ai vu tout récemment le film avec Virginie E. et j'ai trouvé le jeu des acteurs très juste et l'adaptation plutôt fidèle au roman.

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