« La leçon que j'ai tirée de la débâcle avec Charlie, c'est qu'il faut boxer dans sa catégorie. Charlie était d'une autre classe : trop jolie, trop maligne, trop spirituelle ; trop. Je suis quoi, moi ? Ordinaire. Un poids moyen. Pas le cerveau du siècle, mais pas débile non plus : j'ai lu des livres comme L'Insoutenable Légèreté de l'être, L'Amour au temps du choléra, et je les ai compris, je crois (ils parlent des filles, c'est ça ?), mais je n'ai pas beaucoup aimé ; mon palmarès des livres, c'est Le Grand Sommeil de Raymond Chandler, Dragon rouge de Thomas Harris, Sweet Soul Music de Peter Guralnick, Le Guide du routard de la galaxie de Douglas Adams, et je sais pas, un truc de William Gibson ou de Kurt Vonnegut. Je lis le Guardian et l'Observer, et aussi le New Musical Express et des fanzines ; je ne suis pas contre aller à Camden voir des films sous-titrés (palmarès des films sous-titrés : 37,2 le matin, Subway, Attache-moi, L'homme qui voulait savoir, Diva), mais finalement je préfère les films américains (palmarès des films américains, et donc des meilleurs films du monde : Le Parrain, Le Parrain II, Taxi Driver, Les Affranchis, Reservoir Dogs). »
J’entame donc l’histoire d’un pauvre type qui s’est fait larguer et qui depuis une dizaine d’années reste obnubilé par cet amour. Disquaire de profession et dans l'âme, il vit pour et dans la pop et le rock. Heureusement que la musique le sauve de son morne quotidien. Le rock, donc et les listes. Le jazz aussi mais ça c'est une autre histoire, pour un second tome. Il a cette manie, lubie, qu’à chaque instant marquant de sa vie, il fait des listes : les 5 nanas inoubliables, ou les 5 ruptures inoubliables, c’est la même chose, les 5 bouquins à emmener sur une île déserte (1.Moon Palace…), les 5 musiques à écouter à 15 ans en se masturbant (1.Violator…), les 5 disques sur lesquels on peut - doit - faire l’amour au moins une fois dans sa vie (1.The Köln Concert…). Bref les listes de 5, c'est sa life, putain de vie.
Un pauvre type qui dans la vie pourrait paraître pathétique, mais qui dans un roman, prête souvent à sourire. Nick Hornby à l’écriture, c’est pas très punk mais c’est toujours sympathique. Ça sent l’Angleterre, les soirées au pub, les matchs de foot d’Arsenal et la musique branchée, canal pop-rock. Et en plus, dans un roman de Nick, personne ne vomit dans le caniveau. En Doc Martens, tu déambules donc de pubs en bières, l’esprit toujours sur cette femme qui t’a quitté l’autre jour, c’était hier, c’était il y a longtemps, peu importe, tu sens encore son parfum, coquelicot pour ses seins, jasmin pour son sexe. Une odeur inoubliable, comme sa première rencontre. D’ailleurs au premier regard, tu te demandais si elle était Madness ou Simple Minds, Alan Parsons Project ou Barkley James Harvest, Phil Collins ou Peter Gabriel, Kraftwerk ou Klaus Nomi, Amy Winehouse ou Kurt Cobain.... Ca pourrait être un jeu entre deux âmes qui se regardent au fond des yeux dans la pénombre d'une chambre étoilée de quelques bougies. Une bière ? D'ailleurs Chouffe ou Carolus ? là encore, le type peut en faire des listes... Perso je suis d'une Haute Fidélité à cette blonde et à cette brune...
« Mardi soir, j'essaie un nouveau classement pour ma collection de disques ; je pratique ça souvent, en période de stress émotionnel. Vous trouvez peut-être que c'est une manière plutôt bête de passer la soirée, moi pas. C'est ma vie, et j'aime pouvoir m'y promener, y plonger les bras, la toucher.
Quand Laura était là je rangeais les disques par ordre alphabétique ; auparavant, je les rangeais par ordre chronologique, depuis Robert Johnson jusqu'à... je ne sais pas.. Wham !, ou un truc africain, ou autre chose que j'étais en train d'écouter quand j'ai rencontré Laura. Mais ce soir je rêve d'autre chose, alors j'essaie de me souvenir de l'ordre dans lequel je les ai achetés : comme ça, j'espère écrire mon autobiographie sans papier ni stylo. Je sors les disques des étagères, les empile tout autour du salon, cherche Revolver, et je pars de là ; quand je suis arrivé au bout, je rougis tellement je me sens exposé, parce que cette série, après tout, c'est moi. Intéressant de voir comment je suis passé de Deep Purple à Howlin' Wolf en vingt-cinq étapes seulement ; je n'ai plus honte d'avoir écouté Sexual Healing ["Réconfort sexuel"] pendant toute une période de célibat forcé, ni d’une trace du club rock que j'avais formé à l'école pour discuter avec mes camarades de cinquième de Ziggy Stardust et de Tommy.
Ce qui me plaît le plus, dans mon nouveau système, c'est la sensation rassurante qu'il me procure ; grâce à lui, je me suis rendu plus complexe. J'ai environ deux mille disques, et il faut vraiment être moi, ou avoir un doctorat en flemingologie, pour savoir comment en retrouver un. Si je veux mettre, disons, Blue de Joni Mitchell, je dois me rappeler que je l'ai acheté pour une fille à l'automne 1983, mais que j'ai préféré le garder, pour des raisons que je passerai sous silence. Eh bien, tu ne sais rien de tout ça, Laura, donc tu es piégée, n'est-ce pas ? Tu devras me demander de te le trouver. Et, je ne sais pas pourquoi, cette idée me réconforte énormément. »
Alors tu continues ton cheminement personnel, imaginant d’autres rencontres autour de bières, toujours avec cette même fille, toujours pour causer, bières, livres ou musiques. Tu veux l’emmener chez toi, lui montrer ta belle collection, de bières, de livres, de musiques. Assis sur le canapé, lumière tamisée. Tu sors le grand jeu : Magma ou Zappa. J’espère qu’elle dira, de son sourire étincelant, les deux. Mais c’est le moment où la blancheur de son sourire illumine ton âme que tu te réveilles, le machin en érection. Putain de rêve, alors à l’image de n’importe quel pauvre type qui déambule sans but dans un roman de Nick Hornby, toi aussi tu établis la liste des 5 disques à écouter la nuit pour ne pas l’oublier, pour se souvenir, pour aimer, bander, sourire, vivre.
5- Alan Parsons Project, Eye in the Sky. 1982
Parce que quand je la regarde dans les yeux, c’est tout le ciel qui s’ouvre à moi, ses étoiles et sa lune bleue…
4- Doors, LA Woman. 1971
Parce qu’il faut toujours regarder la présence de cet album sur les étagères de sa chambre, cela en dit tant de sa beauté, de l’amour, de l’ivresse ou de son sourire… sur son âme, comme un orage d'émotions dans la chaleur d'un corps.
3- Supertramp, Even in the Quietest Moments. 1977
Parce qu’au sommet de la montagne, il y a un piano sous la neige. Une évidence même, ce piano recouvert de neige. Et de ce piano sort une intro musicale qui bouscule tout… un blizzard lumineux qui se perd dans la blancheur de ses draps.
2- Tom Waits, The Heart of Saturday Night. 1974
Parce que sa voix si triste, si mélancolique chamboule mon âme et mon cœur imbibés de whisky. Chaque samedi soir, j'ai le cœur qui bat, mais aussi tous les autres jours de la semaine. Aucun repos dans ces souvenirs alcoolisés.
And number 1- Van Morrison, A Night In San Francisco. 1994
Parce que c’est le plus grand concert, le plus grand Van, le plus bleu comme les rayons de la lune, la danse de la lune. Peut-on proposer mieux pour embrasser cette femme ? Je ne crois pas...
« Haute Fidélité », Nick Hornby.
Traduction : Gilles Lergen.
J O Y E U X N O Ë L M U S I C A L ! ! !
Putain de play list.
RépondreSupprimerEt je tenterais bien le Moon palace, qu'en penses tu ?
Et Rob Gordon... J'ai vu le film. J'allais dire bien sûr, mais c'est prétentieux, il en manque tant que je n'ai pas vus.
Moon Palace... mon livre doudou... Chaque fois que je ne vais pas bien, j'ai envie de le ressortir... pour me sentir encore moins bien... Mais je ne suis pas vraiment objectif, Paul Auster est au sommet de la hiérarchie et de bien plus haut que les autres auteurs. Je manque donc de jugement pour le proposer aux autres.
SupprimerBien sûr, j'ai du voir le film... Prétentieux je suis... C'était il y a une éternité. Par contre, j'ai aussi vu beaucoup plus récemment une nouvelle série adaptée de cet univers avec une certaine Zoë Kravitz dans le rôle de Rob (tiens, sa mère Lisa Bonnet jouait déjà dans le film de Stephen Frears, la boucle est... bouclée), très bonne série au passage...
Bloody Buffalo. Mais qu'est-ce que tu veux que je rajoute à ça? Que j'ai renoncé à classer mes disques depuis belle lurette. Que de mon jeune temps les filles ne s'intéressaient pas au rock, en tous cas pas les filles que je connaissais, qui de toute façon ne s'intéressaient pas non plus à moi (je rassure tout le monde, ça a changé un peu plus tard). Que j'aime bien Nick Hornby, un peu brother in arms to me. Que nul ne guérit des ses 20 ans. Que ta liste des cinq...ben c'est OK, qu'imaginais-tu?
RépondreSupprimerEt qu'un blog ancestral d'un ruminant nord-américain est depuis toujours dans ma liste de cinq blogs incontournables. 🎸🍻So long my friend!
Tu n'as pas besoin de rajouter quelque chose, juste sortir tes disques de temps en temps qui feraient le bonheur de vieux bisons ou cowboys solitaires, ta guitare pour faire chalouper le corps des femmes :-)
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