« La neige escomptait les contours de la plage, lui donnant des airs d’aquarelle. Elle avait coiffé le sable, les galets, et drapé la jetée. Sous la neige, le paysage devenait à lui seul un conte. Ses paillettes immaculées arrondissaient les angles et gommaient les différences, propageant une beauté douce et rassurante. Le silence ouaté transformait les cris en murmure et le vent en musique. »
Le tableau est idyllique, de la neige, belle et silencieuse, celle du Grand Nord à peine foulée. Le froid qui bleuit les doigts, même celui des cadavres. L’air frais de la Suède, et de belles suédoises pour faire frémir le caleçon. Mais oublions, le temps d’un roman, ces saunas où mon état vaporeux se prélasse dans une fantasmagorie des plus libidineuses. Car la réalité est nettement plus sanguine. Cruelle même, affreuse, abjecte. Une vision d’horreur.
Petite revue en détail de l’équipe, Emily Roy, la profileuse qui semble partager sa vie entre Londres et cette région suédoise, Alexis Castells, écrivaine spécialisée dans les crimes en série, le commissaire Bergström et son équipe aux noms bien suédois, et la jeune Aliénor Lindbergh, autiste Asperger qui complète l’équipe de ses incroyables connaissances… Ça en fait du monde à suivre, pour un troisième épisode pour qui n’a pas lu les précédents. C’est d’ailleurs mon seul reproche, cette difficulté à intégrer l’équipe et à comprendre leur rôle respectif, n’ayant pas abordé auparavant les précédents opus.
« La ville est torride. La poussière rouge qui recouvre tout est encore plus désagréable pendant ces heures chaudes. La seule chose à faire c’est profiter de la fraîcheur de ma maison pour une sieste en compagnie de quelques culs noirs ramassés au passage. »
La poussière s’élève du néant. Une horde de camion fonce dans le désert. Immensité des lieux, le vide aux alentours, ils avancent sous une chaleur écrasante, comme une course contre la montre, contre la lune ou contre la casse. Ce ne sont pas des premières mains, ces camions récupérés dans quelques casses aux alentours de la banlieue bordelaise. A son bord, le chef de gang, Cizia Zykë. Il règne en maître sur ses ouailles, comme un dictateur despote tenant entre ses doigts la vie de ses serviteurs. Bokassa est un boucher cannibale, Cizia lui est une légende. Mais dans le genre, macho, avec les chaines en or autour de son torse velu, la chemise ouverte, le flingue pour le respect, dans le genre sévèrement burné, juste de quoi rouler des mécaniques.
« La nuit, je tâte, dans un demi-sommeil, les culs propres et rassurants qui m'entourent et me rendors heureux. »
« Ici, le métro est aérien. Il y a quelque chose d’étrange avec ça, mais
dans le Bronx, de longs tronçons de rails sortent de terre et filent loin
au-dessus des rues, comme la ligne E1. J’imagine qu’un jour, ils vont
l’enterrer, elle aussi, et ça sera dommage, parce que de là-haut, un jour comme
celui-ci, on peut voir plein de choses de New-York.
Je
veux dire que souvent, même trois ou quatre nuits après une averse, on peut
encore voir sur les toits plats et goudronnés, les flaques d’eau scintillantes
qui reflètent le ciel. Et quand le vent souffle, les extracteurs métalliques,
certains tournent, tournent, et d’autres, leurs pales telles des crinières,
s’agitent brusquement, susceptibles et nerveux, à la manière dont parfois on
voit un pur-sang prendre le mors aux dents à l’approche de la ligne de départ,
alors que son jockey essaie de l’apaiser, avant – si on parvient à l’entendre –
de l’injurier.
Il
y a aussi les pots de fleurs sur les escaliers de secours. La plupart avec des
géraniums, parfois même un rosier, et toujours, bien après la saison, des lys
avec les longues feuilles jaunies, un emballage de papier rose encore autour
des pots. »
Le corps en sueur, le cœur battant,
l’âme pas encore battu, un genou à terre. J’entends cette petite musique dans
la tête, genre ta ta ta ta ta la la la la, tu vois le genre, genre tu cours
dans la rue, et dès que tu vois des marches d’escalier, tu accélères, et une
fois gravi le sommet de cette colline urbaine, tu lèves les bras au ciel et tu
te retournes en regardant la ville en bas, le regard si fier que tu aurais
envie de crier au vent « Adriennnnneee ». Une foule t’applaudit,
hurle ton nom, des flashs crépitent, c’est le délire, abondance de lumières, de
brouhaha, de femmes en maillot de bain échancré venu tourner autour de l’arène,
ce mélange de sueur et de testostérone, bientôt tu auras une statue à ton image,
les larmes aux yeux. Oui, mais voilà, tu te réveilles ce matin, dans un matelas
qui pue autant le moisi que la pisse, toujours en sueur, dans un motel autant
moisi que miteux, seul, la vie c’est pas ce putain de rêve. Le mythe du boxeur,
c’est une autre paire de gants.
Viens…
Je t’emmène, jusqu’au bout de la nuit, au bout de la vie. Une folle nuit
d’insomnie, à Cali. Santiago de Cali, berceau colombien de la salsa et de la
danse. La musique déverse son flot de déhanchements à chaque coin de rue, et
crois-moi, j’aime le déhanchement de ces femmes, dans le genre brune épicée au
sourire ravageur. Timidement, je suis du regard Maria qui n'a de regards que pour ces
ténébreux colombiens aux regards de braise capables de lui traduire les grandes
chansons de rock américain, de danser toutes les sambas de la nuit, de lui
fournir quelques comprimés d’une blancheur cocaïnée… Bref rien pour moi, mais
je me contente d’observer son sourire et sa vie à distance. Elle a de toute
façon l’air si heureuse loin de ma personne que personne ne s’en émeuve la
bouteille de rhum à portée de main la narine hésitante face à cette ligne toute
tracée et immaculée.
Une
ballade et balade, nocturne, musicale, sous le clair de lune, dans les ruelles
sombres et sous cocaïne, odeur puissante d’urine et de vomis. Du rock à la
rumba, des pierres qui roulent, de la mousse dans un verre, Que Viva la
Musica ! dirait un révolutionnaire, suivi de la belle Maria et de son
sourire, fuyant sa clique d’admirateurs à sa suite. Elle est belle, Maria,
toujours aussi belle qu’à son premier chapitre, toujours aussi fraîche même au
bout de la nuit, mélange de jasmin et de sueur, je renifle, non pas de coke
pour moi, juste sa fragrance enivrante, mon envie de lui verser sur son corps
ma bouteille de rhum qui glisse entre ses seins, qui imbibe ses poils pubiens
que je m’empresse de lécher, la langue assoiffée de ces prénoms en a. A moins
que cette nuit de débauche et de rumba ne soit qu’une longue hallucination
solitaire dans l’ombre de la lune bleue.
« Voilà plus de sept ans qu’il est mort mais je continue à passer mes nuits avec lui. Adossé à un mur de la chambre, la tête légèrement penchée selon ses habitudes, les paupières lourdes, il garde les yeux fixés sur moi. »
Un hiver glacial tombe sur la ville. Tu ne trouves pas qu’il fait froid ? Dans cette chambre, dans cette ville, dans cette vie. J’aime le jazz, les sonorités improbables d’un saxo, les silences entre les sons. J’aime le froid, la neige, le blanc. Lorsque les doigts deviennent bleus. Lorsque les lèvres deviennent bleues. Lorsque de la fumée sort de ta bouche à la moindre respiration. Inspiration expiration. Le cœur bat, combien de bpm, le saxo sonne, la machine à écrire fredonne. Izumi est écrivaine, Kaoru musicien dans le free jazz. Les sons s’échappent, improvisation du moment. Izumi se couche, échappant aux coups. Kaoru rêve du Grand Nord. Izumi ne rêve plus, ne vit plus. Un saxo qui cogne. J’ai rêvé de la lune bleue.
« Ma musique vit une seule vie. L'improvisation dans le jazz dépend de la sensation du moment, c'est une question de sensibilité. Ça t'arrive d'écouter du jazz ? »