« Voilà plus de sept ans qu’il est mort mais je continue à passer mes nuits avec lui. Adossé à un mur de la chambre, la tête légèrement penchée selon ses habitudes, les paupières lourdes, il garde les yeux fixés sur moi. »
Un hiver glacial tombe sur la ville. Tu ne trouves pas qu’il fait froid ? Dans cette chambre, dans cette ville, dans cette vie. J’aime le jazz, les sonorités improbables d’un saxo, les silences entre les sons. J’aime le froid, la neige, le blanc. Lorsque les doigts deviennent bleus. Lorsque les lèvres deviennent bleues. Lorsque de la fumée sort de ta bouche à la moindre respiration. Inspiration expiration. Le cœur bat, combien de bpm, le saxo sonne, la machine à écrire fredonne. Izumi est écrivaine, Kaoru musicien dans le free jazz. Les sons s’échappent, improvisation du moment. Izumi se couche, échappant aux coups. Kaoru rêve du Grand Nord. Izumi ne rêve plus, ne vit plus. Un saxo qui cogne. J’ai rêvé de la lune bleue.
« Ma musique vit une seule vie. L'improvisation dans le jazz dépend de la sensation du moment, c'est une question de sensibilité. Ça t'arrive d'écouter du jazz ? »
Avec cette musique qui s’élève dans leur piaule froide et minable, que la lune soit bleue ou la nuit soit noire, illumination de sombres vies, s’accompagne le cocktail alcool-drogue-dépression-peur-désespoir… Un déchaînement de violence, des liens forts d’amour et de haine, s’abatte et se déchire dans l’atmosphère suffocante de cette relation.
Kaoru est maintenant mort depuis quelques années, mais Izumi continue à le voir, lorsqu’il fait froid, à le sentir, à l’aimer. Il aimait tant le froid.
Les mots peuvent être parfois durs, les scènes incompréhensibles mais peut-on comprendre le free jazz. Il ne s’explique pas, il se vit. Comme l’amour, qui ne devrait pas avoir besoin de mots pour se faire comprendre. Juste une musique, et te serrer dans mes bras. Sauf que dans cette histoire-là, les maux sont tout autre, le malaise si grand, l’autodestruction est à l’image de cet amour, de cette haine, de cette musique jusqu’à l’overdose.
« Tout en sirotant un verre de whisky, j'ai écouté jouer Kaoru. Le public se limitait à quatre personnes. Ainsi, c'était toujours dans ce genre de salle, devant trois ou quatre spectateurs, que Kaoru se produisait. Les notes transperçaient le plafond noir avant de s’immobiliser, puis déchirant de nouveau le silence, elles retombaient. Les sons qui refusaient toute mélodie, un par un, se cognaient contre les murs et le plafond, au milieu de soubresauts, et à peine avaient-ils heurtés mon épiderme que de nouveau ils enflaient solitairement, avant de se désagréger. La musique de Kaoru était absolument sèche et sans ralentissement aucun. Malgré cela, elle avait de la densité. Une mousse de métal… Je ne sais pas pourquoi, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer un thalle de lichen se développant au fond de mon oreille. Mycélium aux filaments entrelacés comme un écheveau qui brillait avec un éclat froid. »
Alcool. Drogue. Médoc. Insomnie. L’âme se teinte de bleue, des bleus reçus par les coups de Kaoru.
Sans passé, sans avenir, ces deux gamins, complètement paumés dans les années soixante-dix, dansent une valse sans fin, avec comme fin ultime la mort. C’est beau, c’est dérangeant, c’est triste, c’est sans espoir. De toute façon, mes lectures baignent dans le désespoir… et le free jazz.
« La Valse Sans Fin », Mayumi Inaba.
Traduction : Elisabeth Suetsugu.
Sur une masse critique,
« Le jazz que je joue n'a pas de mélodie. Ce ne sont que des fragments. Il n'y a pas non plus de variations. Il y a seulement une note extrême que je n'arrive à produire qu'une seule fois. Pour que le son sorte de mon corps, plusieurs minutes sont parfois nécessaires, il m'arrive aussi de ne pas réussir à sortir une seule note. »
Assez souvent, surtout chez toi JApon rime avec JAzz. Je crois comprendre que tu te perds et te retrouves fréquemment dans cet univers mêlé. Beau, dérangeant, triste.
RépondreSupprimerC'est que JAime le JApon autant que le JAzz... que l'un et l'autre doivent me rendre mélancoliques encore plus maintenant qu'avant...
SupprimerPas joyeux tout ça mais c'est peut-être ce qui en fait le charme...
RépondreSupprimerJe suis pas joyeux du tout, et pourtant j'ai pas de charme non plus...
SupprimerJe te confirme qu'y a pas que les doigts qui deviennent bleus... et pas seulement que les majeurs non plus.......
RépondreSupprimerTout se passe de mots, l'essentiel se trouve dans les silences, les regards, les gestes, une caresse...
Ce livre triste semble magnifiquement beau :-*
magnifiquement désespéré, surtout... à l'image d'un amour suprême...
SupprimerMes lectures sont rarement joyeuses. Je ne m'étais jamais posé la question.
RépondreSupprimerJ'aime le jazz mais celui ci est trop free... trop désespéré.
mes écoutes sont rarement joyeuses aussi :-)
SupprimerQuand es-tu joyeux.... !??! ;D
RépondreSupprimerjamais, je crois... Je dois pas avoir cette option-là dans mes gênes...
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