mardi 3 décembre 2019

Anisette Corsée


Le soleil irise de son feu le ciel de Corse ou de Rome, je m’égare dans ma géographie, d’autant plus que la gare n’est plus qu’un souvenir. Tous ce que je sais c’est qu’on s’y enfile encore quelques pastagas sous le soleil exactement, ou lorsque la lune fait son apparition. Tout en bout de comptoir, ma place fétiche, le regard qui se porte sur les serveuses, jeunes et généreuses, qui tournent autour des tables, un plateau à la main, des verres de pastis, des pintes de bière, les seins charitables qui ne demandent qu’à être pris en main, je profite de ce spectacle seul dans mon coin, histoire de philosopher sur ma vie. Ou sur la chute de Rome, bien que là, je crois que je risque de m’y perdre, autant faire ce que je sais faire, me contenter de boire mon pastis devant un bon bouquin, aux phrases longues et presque interminables – contrairement au contenant de mon verre - que j’apprécie particulièrement. En plus, la plume se met au service d’un bar… Ce n’est pas Saint Augustin qui va m’empêcher de reluquer les seins des saintes serveuses si vertueuses qu’elles me caressent l’âme sensible, les sévices de mon imagination.  

« - Vous êtes une bande d’ivrognes et une bande d’enculés,
Et les suivait dans le bar. Marie-Angèle, derrière le comptoir, refaisait les gestes qu’elle connaissait si bien et qu’elle aurait tant voulu oublier, s’affairant avec aisance entre les verres et les bacs à glaçons, notant mentalement, dans l’ordre et sans la moindre erreur, les commandes de tournées lancés à un rythme infernal par des voix tonitruantes et de moins en moins assurées, elle écoutait les conversations décousues, les mêmes histoires racontées cent fois avec leurs variantes et leur invraisemblables hyperboles, la manière dont Virgile Ordioni n’oubliait jamais de découper dans les entrailles fumantes du sanglier mort de fines lamelles de foie qu’il mangeait comme ça toutes chaudes et crues, avec une placidité d’homme préhistorique, malgré les cris de dégoûts auxquels il répondait en évoquant la mémoire de son pauvre père qui lui avait toujours enseigné qu’il n’y avait rien de meilleur pour la santé, et le bar retentissait maintenant des mêmes cris de dégoût, des poings serrés tapant sur le zinc du comptoir éclaboussé de pastis, et il y avait encore des rires et on disait que Virgile était un animal mais un sacré bon tireur et, tout seul dans un coin, Vincent Leandri fixait son verre avec des yeux remplis de désespoir. »

Lorsqu’un bar ferme ses portes dans un petit village de campagne, c’est un peu la mort de celui-ci. Là où dans le temps l’église faisait office de lieu de communion, le bar remplit amplement cette fonction. Pourtant, tous s’y rencontrent, les chasseurs, les ivrognes, les enculés et autres prostituées. Alors lorsqu’un enfant du pays décide de le sauver, c’est l’espoir qui renait. La vie qui renait. Le désir et l’envie qui renaissent. Même les plus bourrus, les plus solitaires, le bison qui décline en son for intérieur ces deux caractéristiques, prennent le temps d’aller boire un pastis. Le concept repose avant tout sur le savoir-faire des serveuses, leurs sourires et leurs jolis postérieurs qu’après deux verres on aurait tant envie de l’attraper, pour le humer, le caresser, le pénétrer, dans la chambre du haut.

Mais l’homme étant de général un pauvre type – et je ne parle pas du bison – le paradis ne reste qu’artificiel – dis-je en regardant les seins de la serveuse se dandiner lorsqu’elle m’amène la bière qui étanchera ma soif - dans ce bas monde, triste ère où l’errance d’une vie rend triste. Je ne suis point là pour philosopher sur la vie des hommes, étant plus spiritueux que spirituel, mais ces derniers ont toujours tendance à détruire la beauté de ce monde, et pourtant quoi de plus beau qu’un bar, un pastis et une serveuse bien roulée…

« Et Marie-Angèle, en servant une autre tournée de pastis dans des verres si pleins qu’il n’y restait plus de place pour l’eau… »

« Le Sermon sur la chute de Rome », Jérôme Ferrari.




 Et parce que, en ce mois de décembre, 
vous en rêvez tous – et toutes – 
sachant son carnet de rendez-vous chargé,
la fille du père Noël...




11 commentaires:

  1. Pour une fois qu'on a lu le même livre, je l'ai détesté... Je ne me souviens plus des détails, je l'ai lu à sa sortie influencée par le battage et la critique unanime et enthousiaste... Je l'avais trouvé prétentieux et abscons. Je n'ai jamais relu cet auteur.

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    1. Je ne l'ai pas détesté. Il m'a permis de sortir une bouteille de pastis en plein hiver, c'était déjà un bon point pour lui. Après, j'ai eu des difficultés à le lire ou le comprendre (pourtant la bouteille n'était pas encore vide). Est-ce que je vais relire cet auteur ? Je ne sais pas encore, probablement un manque d'enthousiasme malgré de beaux passages et une écriture que j'aime bien... par moment.

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  2. Pouah le pastaga. J'aime pas l'anis.
    En vider une bouteille seul en une fois ça me semble irréalisable.
    Oui bien sûr, on sent le littéraire qui sait manier la langue, mais c'est laborieux pour certains lecteurs.

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    1. J'ai rapidement vu que le niveau était trop élevé pour le pauvre bison que je suis.

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  3. Tu n'es pas seul sur ce coup. C'est pour l'élite (de rouge🤣)

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  4. Mais arrête de dire ça !... ça ne vole pas forcément haut, puisque ça ne parle que des "bassesses" des humains ^^

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    1. Je me suis tout de même senti un petit peu "petit" à la lecture de ce roman... même un verre de pastis à la main... et pourtant, ça rafraichit c'est histoire de bar en corse...

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  5. Si je comprends bien il faut du pastis pour faire passer la longueur des pages. Ou des seins « charitables »... ^^
    Bah, un mojito ça peut faire l’affaire ? Ou un rhum 20 ans cul sec... c’est que mon âme est encore là-bas bien au chaud, sous un palmier...

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    1. L'anisette ne doit effectivement pas traversé les océans... Et un pastaga noyé, ça le fait pas non plus.
      Autant se contenter de la chaleur locale, cul à sec, et rhum ambré.

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  6. Bonjour le Bison, moi non plus je n'ai pas apprécié ce roman plus que cela. L'écriture est belle mais je n'ai pas compris grand-chose. Comme je dis parfois, c'est quelqu'un qui s'écoute écrire. Je n'ai pas été plus avant dans la découverte de l'écrivain. Cela me permet de te souhaiter un joyeux Noël.

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