dimanche 21 février 2021

L'index Et le Majeur


L’histoire d’une femme, j’aime les histoires de femmes, c’est mon côté potin mondain entre deux verres de vin, en cristal les verres bien entendu.

Le roman d’un sexe, une toison brune, des jambes qui s’écartent, la sève qui s’écoule ; c’est mon côté voyeur entre deux verres d’un single malt, l’aventure dans cette inconnue qui s’ouvre à moi.

La musique sauvage, riffs sur les sentiments, pas de quoi siffloter la joie de vivre, le bonheur conjugal. Un western sans poussière avec mise à mort de l'âme, pendue à la branche du chêne familial, une balle perdue dans le cœur du plaisir. 

Mais le roman, la femme, le sexe se composent sans douce mélodie autour de l’addiction. L’addiction au sexe, l’addiction maladive qui détruit, à commencer par soi-même, puis autour de soi. C’est du brut. 

Et comme toute addiction reconnue, il y a surtout une énorme souffrance, la perte de son âme, la peur de l’autre, puis celle de la découverte. Malgré un mari et un enfant, Adèle est ainsi, prise dans le tourbillon malsain de ses pulsions, celles du sexe à tout-va, en tous lieux. Il y a la vie de façade et puis sa vie intérieure et bouillonnante.

« Et puis, ils sont allés à Montmartre. « Ça plaira à la petite », répétait Monsieur. Place Pigalle, ils ont pris le train touristique et Adèle, coincée entre sa mère et l’homme, a découvert le Moulin-Rouge avec terreur.

Elle garde de cette visite à Pigalle un souvenir noir, effrayant, à la fois glauque et terriblement vivant. Sur le boulevard de Clichy, vrai ou pas, elle se souvient d’avoir vu des prostituées, par dizaines, dénudées malgré la bruine de novembre. Elle se souvient de groupes de punks, de drogués à la démarche chancelante, de maquereaux aux cheveux pommadés, de transsexuels aux seins pointus et aux sexes moulés dans des jupes léopards. Protégé par le cahotement du train aux allures de jouet géant, serrée entre sa mère et l’homme qui se lançaient des regards lubriques, Adèle a ressenti pour la première fois ce mélange de peur et d’envie, de dégoût et d’émoi érotique. Ce désir sale de savoir ce qu’il se passait derrière les portes des hôtels de passe, au fond des cours d’immeuble, sur les fauteuils du cinéma Atlas, dans l’arrière-salle des sex-shops dont les néons roses et bleus trouaient le crépuscule. Elle n’a jamais retrouvé, ni dans les bras des hommes, ni dans les promenades qu’elle a faite des années plus tard sur ce même boulevard, ce sentiment magique de toucher du doigt le vil et l’obscène, la perversion bourgeoise et la misère humaine. »

Avec la crudité des mots ou la bestialité des scènes, Adèle survit intérieurement d’hommes en hommes, des coups d’un soir pour la plupart, des rencontres du hasard, dans un bar ou sur un quai, hagard. Le sourire, première étape, l’envie, le désir compulsif, le soulèvement de la jupe l’arrachage du string, secondes étapes, et puis elle se retourne, pas un mot, pas un adieu, une cigarette, une pastille de menthe pour enlever le goût du foutre, troisième étape. S’ensuit ce sentiment de honte qui te submerge. C’est la dernière fois, une promesse vaine car au moment où tu penses cela, tu sais parfaitement que non… Une nouvelle pulsion, impulsion destructrice, le cercle vicieux de l’addiction, l’addition des membres dans son con ou son cul, Adèle est ainsi, elle ne peut s’y résoudre.

Au final, c’est un roman assez triste, la tristesse de l’addiction et son désespoir qui s’y rattache. Faire bonne figure, mais intérieurement l’âme est démolie. Peut-être même depuis la plus petite enfance avec ce manque de réconfort ou d'amour. Drogue, alcool ou sexe, le cercle vicieux de cette dépendance connait le même rythme, cette pulsion, poussée d’adrénaline qui oblige à franchir de nouveau le pas, pour s’affranchir de son besoin immédiat. L’adrénaline s’estompe, se dilue et à la fin de l’acte, la misère, la peur de se regarder dans le miroir, le dégoût qu’on peut y trouver dans ce regard. Sauvagement sombre, cette putain d’histoire. Merci, j’aime les histoires sombres. Quoi ? J’ai plombé l’ambiance ?... C’est une certaine vie dans des putains de vie.

« L’index et le majeur. Il ne s’agit que de ça. Un mouvement vif, chaud, comme une danse. Une caresse régulière, toute naturelle et infiniment avilissante. Elle n’y arrive pas. Elle s’arrête puis reprend. Elle remue la tête comme un cheval cherche à chasser les mouches qui lui agacent les naseaux. Il faut être un animal pour réussir de telles choses. Peut-être que si elle crie, si elle se met à gémir, elle sentira mieux venir le spasme, la libération, la douleur, la colère. Elle murmure de petits « ah ». Ça n’est pas de la bouche, c’est du ventre qu’il faudrait gémir. Non, il faut être une bête pour s’abandonner ainsi. »

« Dans le Jardin de l’ogre », Leïla Slimani.




12 commentaires:

  1. Très envie de le lire et, ça tombe bien, je l'ai quelque part, par ici ou plutôt par là...

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    1. Fais toi plaisir, il vaut le coup de lecture. Profondément triste, de mon point de vue...

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  2. Bonsoir le Bison, le passage que tu nous donnes est superbement écrit. Je n'ai encore jamais lu de Leila Slimani. Une très belle plume mais l'histoire m'a l'air un peu glauque. Bonne soirée.

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    1. un petit peu plus qu'un peu glauque, mais l'écriture est très prenante, elle est vraie authentique et m'a donné envie d'en découvrir un peu plus...

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  3. Lever les tabous, bon sang, on est en 2021 (!)... Le sexe, une affaire de femme ici. Et désolée de le dire, mais le mari ne m'a pas inspiré de pitié, il n'a rien vu mais n'a rien voulu "voir", surtout 😒

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    1. Je ne suis pas sûr qu'il y ait à avoir pitié du mari. Il est juste absent, de l'histoire, du roman, de cette vie. Le mari ne m'inspire pas grand chose, je ne sentais que la détresse d'Adèle et sa souffrance.

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  4. Avec un titre pareil qui titillait ma curiosité, comment se fait-il que je n'y suis pas venue encore???
    Pas d'classe pantoute...! ^^
    Ceci dit, les histoires de femmes, c'est plutôt "ton côté" romantisme, Amour, parce que les verres en cristal dans la poussière, y'a comme discordance, c'est un peu comme une escale en Italie où y'a pas de rhum des îles, c'est à devenir fou de désespoir.
    Un roman triste par contre, c'est plein de vie et c'est l'histoire d'une vie, avec ses vagues d'émotions, ses index et ses majeurs.
    Parlant majeurs, j'peux t'en offrir un doigt ou trois de rhum? C'est l'heure de l'apéro non? ^^

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    1. la classe, c'est de venir quand on en a envie, avec ou sans rhum, avec ou sans doigt. la classe c'est de ne pas se sentir obligé. la classe c'est de rester dans le vague et les vagues de la vie.

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  5. SI, désolée mais on n'a pas lu le même livre (!?), le mari s'en mêle et reste plus que "présent" dans la dernière partie du livre, surtout lorsqu'il découvre tout et qu'il pense pouvoir la "protéger d'elle-même".... C'est ce que j'ai voulu dire en parlant de lui, et mon dégoût de sa personnalité.

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    1. non... ça devait être un autre livre... Pour moi, le mari n'y est même pas, même dans la dernière phase. il se cache, il se voile, mais je n'ai jamais eu le sentiment qu'il soit à ses côtés...

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  6. Mais bon ssng, c'est son mari qui la fait "décrocher", qui la surveille comme une enfant, qui la met au vert !! (tu n'as vraiment pas lu la fin du livre ou quoi ??)

    Sinon, bien sûr qu'il est "absent" de son addiction au sexe, de son "couple" et de son lit conjugal, il est en partie la cause (avec ses parents) de son égarement et de sa souffrance...

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    1. Je n'ai simplement pas ressenti la même chose que toi. Elle n'a pas vraiment décroché. Pour moi, il s'enfuit, avec elle à ses côtés, comme on embarque des cartons de son ancienne maison vers sa nouvelle vie. Je n'ai pas eu le sentiment qu'il l'avait fait ça pour elle, mais plus pour lui. L'éloignement en province ou la surveillance comme un maton, ce n'est pas ce que j'appelle une aide, c'est juste une façon de ne pas ébruiter l'addiction dans son cercle. C'est de cette façon que j'ai vécu son geste.

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