mardi 2 février 2021

Le Vagabond Romantique


Petit traité sur l’immensité du monde. Tout est énoncé dans le titre. Ou presque. Le voyageur face à l’immensité des terres doit effectivement se sentir tout petit, une poussière. Je me sens d’ailleurs poussière, prêt à m’envoler dans ces lointaines contrées, à travers ces plaines désertiques, aux confins des steppes silencieuses là où seul le vent chante ses mélopées comme une ritournelle sans fin, ou comme un ivrogne un soir de pleine lune.

Perdu dans l’immensité du monde, l’esprit divague, des vagues de pensées qui submergent ton subconscient tel un tsunami dévastateur sur une terre vide. Il faut avoir un putain de courage pour affronter son esprit, seul dans une tempête de poussières ou de neige. Avec pour seuls compagnes, quelques bouteilles de vodka dans son barda, l’errance sans but, voilà de quoi réhabiliter le vagabond romantique. Surtout quand la bouteille est vide… 

« J’ai vite compris qu’à trop divaguer sur les cartes on risquait la déception. Car le voyageur, une fois l’esprit encombré de mythes, ne partira pas pour découvrir des royaumes inconnus mais pour vérifier si ceux-ci ressemblent à son rêve. Et lorsqu’il parviendra devant la muraille de Samarcande avec le crâne farci de descriptions antiques et la certitude que se dévoileront dans l’horizon des coupoles turquoise et lustrées surnageant comme des îles d’un voile de poussière levé par le pas des caravanes, il se trouvera fort déçu d’avoir à traverser une banlieue industrielle. Neuf ans après l’effondrement de l’URSS, je suis moi-même un jour tombé de mon rêve et la chute sur le pavé du réel fut douloureuse. »

Qui est ce vagabond romantique, un Sylvain Tesson d’un autre temps ? Le vagabond romantique est celui qui prend la route, sans but, sans idée précise ni préconçue. Il erre l’esprit bohème entre les forêts et les clairières ; donc originellement en Bavière. Il dort à la belle étoile ou dans une grange, la main dans la culotte de la fermière – oups mon esprit s’égare dans le vide sidéral de mon âme. Il a toujours un bouquin en poche, une barbe de plusieurs jours, et suit juste le soleil ou la lune, jusqu’au prochain ravitaillement de plaisirs. D’ailleurs le choix du bouquin est intéressant : ce sera « Knulp » de Hermann Hesse, pour Sylvain. Il ne me reste plus qu’à le lire, il est de ces livres aux pages jaunies et parfumées par le temps que la vigueur d’un dépoussiérage ne serait pas inconvenante, sous peine de distiller ces minuscules poussières dans mon verre de Paulaner.

Et où commence le voyage ? Sur une carte que des géographes ont façonnée depuis la nuit des temps, le temps d’un feu dans une grotte. Il a fallu qu’un type, cheveux hirsutes et torse poilu, décide de franchir le pas, celui des ténèbres, et décide de se confronter à ses peurs, à la profondeur abyssale de l’inconnu ou de Dieu pour laisser derrière lui sa femme et son tonneau, et découvrir une autre soif, celle de la découverte et du prochain bistrot ouvert. Ainsi naquit la géographie, avec ses courbes et ses dénivelés, qui tranche avec les courbes de cette jeune slave venu m’accueillir avec une outre de vodka maison dans cette grange que je croyais abandonnée. Outré, je ne le suis pas de ses avances aux confins si reculés.

Mais à force de philosopher, je me perds dans mon inculture, comme un poivrot se perdrait dans une ville fantôme où tous les bistrots seraient à l’abandon. D’ailleurs, autant boire à la belle étoile, hé toi si belle cette lune bleue que j’admire tant lorsque le silence de la nuit impose sa beauté. Demain sera un autre jour – non ce n’est pas le titre du prochain James Bond, quoique – et la marche bohème ou forcée qui m’entraînera sur d’autres sentiers de poussière trouvera ainsi une nouvelle voie, celle qui me mènera peut-être dans les profondeurs d’un puit où la vodka assommera le substitut d’âme qui me reste en éveil, traversée du Gobi ou de la Sibérie.   

« A Moscou, une nuit du mois d’août, j’ai bivouaqué involontairement dans la rue, assommé de vodka, le visage contre terre. Au matin, je me réveillai grelottant et m’aperçus qu’on m’avait volé mon pantalon, mes chaussures, mes chaussettes, ma ceinture et ma veste. Ainsi je me trouvai sur le pavé d’une ville inconnue, seul, à moitié nu, incapable de me souvenir de mon adresse. Je tombais amoureux à ce moment de la Russie. Les Russes affichent une grande solidarité avec les ivrognes, presque de l’affection : chacun sait qu’il sera un jour dans la situation d’être secouru. Un balayeur dans une courette me sauva en me cachant dans son manteau. Il m’expliqua que des ivrognes s’endorment chaque hiver dans la rue par une nuit de neige et qu’on les retrouve cinq mois plus tard quand le printemps fait fondre leur linceul. On les compte par centaines en Russie. On les appelle les « perce-neige ». »  

« Petit Traité sur l’immensité du monde », Sylvain Tesson.


 


10 commentaires:

  1. L'immensité du monde, un titre, une envie, qui me fait craquer d'amour...
    Face à cette immensité, je me sens toute petite.
    Flocon de neige dans l'immensité de la tempête.
    Qui sait si un jour on ne fera pas escale dans un verre de Vodka, ce serait trop bon.
    Mais avant, ennivrons-nous de mojitos.
    La vita bella:-*

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. des mojitos dans le désert de Gobi, original...
      pourquoi pas de la vodka dans la poussière de la Havane, alors..

      Supprimer
    2. Des mojitos pour l'escale cubaine, où l'on se trouve en comment, sous un palmier...

      Supprimer
    3. Va falloir que je couche mes sentiments sur papier... Une escale avec du rhum, des putes et de la poussière...

      Supprimer
  2. *"en ce moment", hosties de cellulaire à marde! ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. j'adore... la marde parce que pour les hosties, ça fait un bout de temps que j'en ai pas sucé une...

      Supprimer
  3. Ça claque ces morceaux de Tesson
    Ça te prend comme descend la vodka
    Direct
    Avec une poésie, un sens esthétique et une éloge du temps des espaces de la nature du simple

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ça claque comme un verre de gentiane
      qu'un bûcheron s'enfilerait
      la hache à coté de la bouteille,
      une montagnarde à genoux
      Suze-moi...
      L'esprit bohème.

      Supprimer
  4. C'est un traité, donc c'était sûrement prévisible pour le côté "philo"...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est que cela fait longtemps que j'ai quitté l'univers éphémère de la philo de mon cursus scolaire... mais il y a des voyages qui ne se refusent pas, donc même avec un côté philo, il y a cette envie de suivre Tesson...

      Supprimer