mercredi 26 janvier 2022

La Tarte au Chocolat de Minny


 Jackson, Mississippi, au début des années soixante. Des femmes blanches, haute bourgeoisie locale, discutent autour d’une tasse de thé, de tout et de rien, probablement du prochain comité de charité. Un thé qui fume à la bonne température servie par d’exemplaires bonnes, noires. La ségrégation raciale continue à vivre de beaux jours encore à cette époque dans ce coin de l’Amérique, si bien qu’il est de mode de construire des toilettes au fond du jardin pour que ces bonnes puissent se soulager. Tu comprends, c’est mieux pour elle, avoir des chiottes rien qu’à elles. Tu comprends, en plus, elles ne pourront pas transmettre de maladie en s’asseyant du coup sur les toilettes des dames blanches. 

D’ailleurs, elles ne boivent pas que tu thé, lors de leurs réunions tupperware et parties de cartes. Il faut bien aider à passer l’ennui d’une telle vie, en plus de vérifier que l’argenterie ne porte pas de trace, et surtout qu’il ne manque pas une petite cuillère qui se serait malencontreusement envolée par je ne sais quelle magie « noire ». Bref la vie n’est pas de tout repos pour ces dames blanches. Et que dire de ces « dames » noires qui élèvent les gosses des blanches jusqu’au jour ou ces derniers les appellent « maman » ou veuillent aller sur le pot des noires…  

« Je m'assois à ma table pour manger et j'allume la radio de la cuisine. Le petit Stevie Wonder chante Fingertips. Ce gamin, ça le gêne pas d'être noir. Il a douze ans, il est aveugle, et on entend plus que lui à la radio. Quand il a fini sa chanson je change de station pour le pasteur Green qui dit son sermon, et après je me mets sur WBLA. Ils passent du juke joint blues.
J'aime bien ces sons qui sentent l'alcool et la fumée de cigarettes, quand la nuit tombe. »

Au sein de ces dames blanches, Miss Skeeter, fille d’un grand propriétaire terrien, à la lumière des champs de coton en fleur, se sent différente. De retour dans son pays, où elle ne semble plus s’y reconnaitre, elle souffle le doux projet de devenir écrivaine. Mais pour cela, il faut dénicher le sujet qui reflétera sa personnalité, son envie, sa foi : « les bonnes noires ». Avec la vieille Aibileen et l’insolente Minny, elle va recueillir leurs témoignages, dans la discrétion, dans la peur, dans la chaleur de la nuit.

Oh que j’ai aimé ce roman. J’avais cette musique noire qui me trottait dan la tête, j’avais cette émotion, cette rage et cette impuissance. Jusqu’au bout, je me demandais, j’espérais que le roman allait se faire, pour faire bouger les choses. Ce sont des petits actes comme ça, qui parfois font avancer les droits, la vie. Les pages se tournent et j’ai pris part ainsi à cette vie, à ces vies, des rencontres émouvantes et attachantes, entre la sueur et les odeurs de pins, là où se cuisinent les meilleurs tartes du Mississippi. D’ailleurs, tu reprendras bien une part de tarte au chocolat de Minny ?

« Le Sun and Sand Bar est fermé et je ralentis pour passer devant. C'est étonnant comme une enseigne au néon peut paraître morte une fois éteinte. Je longe le grand immeuble de Lamar Life, passe les feux orange clignotants. Il n'est que huit heures du soir, mais tout le monde est déjà couché. Tout le monde dort dans cette ville, dans tous les sens du terme. "Si seulement je pouvais partir d'ici", dis-je, et ma voix que nul ne peut entendre rend un son étrange. Je m'imagine vue de très haut, comme dans un film. Me voici désormais parmi ces gens qui traînent la nuit dans leur voiture. Mon Dieu, je suis le Boo Radley de Jackson, Mississippi, comme dans Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur.
Je branche la radio pour avoir du bruit plein les oreilles. It's My Party passe et je cherche autre chose. Je commence à détester ces chansons pour adolescents qui parlent d'amour et de rien. Je tombe entre deux vagues de parasites sur Memphis WKPO et j'entends une voix traînante et vaguement alcoolisée qui chante vite dans un style Blues. J'entre dans le parking du magasin ToteStore pour écouter. Je n'ai jamais rien entendu d'aussi bon.

... you'll sink like a stone
For the times they are a-changin'...

Une voix caverneuse m'informe qu'il s'appelle Bob Dylan, mais au moment où la chanson suivante commence, le son disparaît. J'éprouve un soulagement inexplicable. Comme si j'avais entendu quelque chose venant du futur. »

« La Couleur des Sentiments », Kathryn Stockett.
Traduction : Pierre Girard.
 


18 commentaires:

  1. Je me permets de partager ton billet sur un site littéraire "fou de lire" sur FB. J'ai lu ce livre il y a bien longtemps et ta façon d'en parler est tout simplement "au poil" ;-)!

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    1. C'est fou ce qu'on peut trouver sur FB (mais j'ai pas de compte, alors j'y vais pas). Pas de problème.

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  2. Pas de tarte au "chocolat" pour moi, merci...^^

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    1. Je vois que la réputation de la tarte de Minny est arrivé jusqu'à ton palais :-)

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  3. Pour moi non plus pas de tartre merci !

    Pas lu le livre mais vu le film au cinéma avec ma fille et nous avions adoré !

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    1. J'ai bien compris, personne ne veut de ma tarte...
      Je n'ai pas vu le film, je ne connaissais pas l'histoire, donc, avant...

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    2. A voir impérativement, d ailleurs il me semble que l actrice Octavia Spencer avait eu un oscar pour son rôle ou pour sa tarte ... je ne sais plus :)

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    3. Ho... Et je vois qu'il y avait Jessica Chastain... Faut que je le vois, effectivement...

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  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  5. [Ai réécrit mon commentaire car j'avais fait trop de fautes de frappe]

    mais QUI n'a pas pu aimer ce roman ?!?Personne depuis sa sortie, je crois... Le film est fidèle et les actrices excellentes (les bonnes comme les Desperates housewives)
    Bref, ça ne t'empêche pas de le noter 4,5/5 (espèce de maniaque ^^ de cette notation, à croire que ça te juste fait plaisir d'ôter 0,5 !)
    Pardon pour la longueur. Et ne te fatigue pas à me répondre, car je doute même que tu le fasses (Pas grave)

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    1. Y'a des gens qui peuvent ne pas aimer, ceux qui n'aiment pas le chocolat, la couleur noire ou le juke joint blues, par exemple...
      Mais c'est pas grave, effectivement, comme tu le dis si bien...

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  6. Je prends (ou pas) un morceau de tarte si tu croques dans le ver et l'avales ^^
    À suivre....

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  7. Ah je l'ai lu celui-là et bien sûr je l'ai dévoré, adoré et j'ai tremblé pour Minny.
    J'avais été un peu sévère avec le film que j'ai revu depuis et trouvé vraiment bon.
    Je te le recommande donc pour mettre des visages sur ces personnages incroyables.

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    1. Ca ne m'étonne pas que tu l'ais lu... Plus de 600 pages, c'est forcément pour toi... Tiens je vais essayer de retrouver ta vieille critique du film...

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  8. Ne cherche pas
    http://www.surlarouteducinema.com/archive/2011/10/29/la-couleur-des-sentiments-de-tate-taylor.html
    mais j'étais vraiment de mauvais poil le 30 octobre 2011.
    Là j'attaque : Ton absence n'est que ténèbres. J'ai pas compté les pages, mais il est lourd :-)

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    1. Tu en as de la chance.
      Moi, si c'est plus lourd qu'une bouteille, j'hésite.
      Cela dit pour Jón Kalman Stefánsson, je n'hésite pas bien longtemps, pour ne pas dire pas du tout... J'y vais avec petite dose, cet auteur est tellement sublime. A chaque fois, il m'enchante, il restera au panthéon de ma vie.

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