Colonia Vela est en fête. Loin de Buenos Aires, perdu dans la poussière argentine, ce petit bourg promet une belle distraction, tango et boxe. Le grand Galvan doit faire une représentation à la salle des fêtes, des affiches ont même été collées aux murs de la ville pour annoncer sa venue.
Deux hommes montent sur le ring. Le speaker annonce le combat de l’année entre le vieux Rocha et la légende locale, le vainqueur aura le droit de participer aux prochains championnats du monde, c’est dire l’enjeu colossal.
Finalement Galvan est remplacé ce soir, il doit quitter la ville, ordre des autorités et à la fin des années soixante-dix, mieux vaut pas se frotter à la mitraillette de ces autorités-là.
Il a mis un genou à terre, l’arbitre compte une première fois, un… deux… trois… quatre… ça va ça va je vois encore clair ce ne sont que quelques gouttes de sang passe-moi l’éponge que j’essuie ça surtout ne jette pas l’éponge c’est la dernière chance de ma vie… Le combat reprend les coups cognent, les boxeurs glissent en sueur, encore un peu et ils danseraient le tango.
Pourtant, l’autre boxeur n’est autre que le colonel de la garnison. Mais ne me fait pas dire que ça pue le combat truqué, c’est pas parce qu’autour du ring il y a des dizaines de militaires mitraillettes au bras, en train de s’abreuver de plusieurs verres de bières…
« Nous marchions déjà depuis une heure quand je commençai à éprouver un froid intense dans les jambes et un goût amer sur la langue. J'allai jusqu'à un tronc d'arbre et m'y appuyai pour prendre une cigarette. Mingo avait plusieurs mètres d'avance ; la flamme du briquet l'arrêta. Lorsqu’il me rejoignit, je lui donnai une cigarette. De sa poche d'imper, il sortit une bouteille de genièvre et but une gorgée qui me parut interminable ; après, il me la tendit et nous nous assîmes sur le sol humide, adossés au tronc. Nous nous repassâmes la bouteille trois ou quatre fois. Pas très loin, un grillon chanta. Mingo tendit le bras et montra un point dans les buissons.
« La chance, camarade, dit-il. Vous allez avoir de la chance. »
Je le regardai lever le coude. Il abaissa la bouteille et me la tendit.
« Le grillon. S’il chante, ça porte chance.
- Ils chantent toujours, c’est tout ce qu’ils savent faire, non ?
- On voit bien que vous êtes de Buenos Aires », dit-il, déçu. »
Franchement cette histoire ne peut que mal finir. Ce simulacre de fête qui ressemble plus à une opération de propagande autour de la dictature au pouvoir. Mais j’imagine bien que Galvan et Rocha, ces deux-là qui viennent de se rencontrer dans le train avant d’arriver à Colonia Vela, vont découvrir une profonde histoire d’amitié. Il suffit parfois de boire un verre ensemble pour tisser des liens profonds, une bière et une dictature.
La foule est en délire, le spectacle touche à sa fin. Le speaker remonte au centre du ring, la musique s’efface devant la voix tonitruante de l’homme en uniforme et aux galons dorés. Un dernier mot pour remercier chaleureusement les sponsors de cette évènements la brasserie Saint Soissons qui fournit la bière et le magasin général qui fournit livres et cookies. Bonne soirée à vous tous, bon retour dans la pampa, n’ayez pas peur, ce ne sont que des militaires qui patrouilles à la nuit tombée.
« Elle se remit à pleurer. Je lui pris une main et l'attirai contre mon épaule. Ses larmes froides coulèrent dans mon cou. Nous restâmes un moment ainsi, sur fond de Vivaldi, jusqu'à ce qu'elle commence à se calmer. »
« Quartiers d’hiver », Osvaldo Soriano.
Traduction : Marie-France de Palomera.
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