Au petit déjeuner, pancakes imbibés de sirop d’érable. A la radio, de bon matin, les Rolling Stones, Satisfaction, un été 1965. Ça te réveille et te met même dans les meilleures conditions pour attaquer cette longue journée. Flash info, après la météo caniculaire, en ce 14 juillet, deux enfants ont disparu. Quelques jours plus tard, on retrouve leurs corps dans deux terrains vagues différents. Sous les flashs crépitant des journalistes, menottée comme une criminelle, Alice Crimmins est amenée au poste de police du Queens, New-York. Alice, la mère.
Je ne sais pas pourquoi mais les premiers soupçons sont uniquement dirigés vers la mère, et ce, dès les premiers pas de l’enquête. L’enquête, le mot est peut-être un peu trop fort pour définir ces premiers jours après la découverte des corps.
C’est le second True Crime de ces éditions 10/18 – Society que je lis. Le précédent L’Affaire du Golden State Killer ne m’avait pas vraiment bousculé, une succession de meurtres en Californie, mais au final, je m’étais perdu dans tous ces faits et lieux. Par contre, délaissant la Rancho Cordova pour le Queens, j’ai pris énormément de plaisir à découvrir l’Affaire Alice Crimmins. En plus de l’aspect purement criminel, enquête policière ou journalistique, je me retrouve plongé dans l’ambiance de cet été 65, au cœur de la pensée de l’époque, celle d’une police patriarcale pour qui une mère, qui est belle, qui boit plusieurs verres le soir, qui a plusieurs amants, divorcée, deux enfants, et qui ne semble pas pleurer leurs morts est forcément coupable. L’atmosphère d’un été 1965.
« "Une serveuse de cocktails rousse et attirante", "une femme bien proportionnée" lit-on ici et là. Au fil du temps, Alice Crimmins devient, dans les journaux, une "femme au foyer du Queens à la moralité de hamster", puis "une Circé, une femme amorale". Elle s'évanouit ? On se moque : elle l'a forcément fait exprès, pour éviter de devoir s'expliquer. Elle ne pleure pas assez ? On s'offusque : une mère qui ne pleure pas ne peut pas être tout à fait innocente. »
Avant tout, je perçois donc ce livre comme une immersion dans ce quartier, et j’aime sentir l’atmosphère d’un lieu, le pouls de quelques âmes ou de toute une époque, le passage du temps ou du train avec quelques bon vieux tubes rock distillés par des ondes radios s’échappant des fenêtres ouvertes de ces vieux immeubles en brique. Dès le début, je vois l’enquête du procureur et des policiers se diriger vers les préjugés de l’époque. Pas une bonne mère, avec une vie dissolue où l’alcool et le sexe coulent à flot : COUPABLE. Une évidence. Et pas une fois je vois ce procureur ou ces flics – que j’imagine irlandais catholiques – s’interroger sur le mobile du crime. Quand il y a crime, il y a mobile, enfin c’est ce que j’ai appris après avoir étudié de longues séquences de séries télévisées policières. Même Columbo sait ça, pourtant… D’ailleurs, dès que je me suis retrouvé plongé dans cette ambiance, je me suis immédiatement dit que Hitchcock aurait pu en faire un excellent film, il y a tout dedans, la beauté d’une femme, le suspense, les questionnements, il m’est arrivé de douter, même la politique et la mafia y trouvèrent une petite place. Mais passons, la vie n’est pas que cinéma et malheureusement, après un énième procès, les deux précédents ayant été « cassés » pour vice de procédure, Alice Crimmins se retrouva à nouveau derrière les barreaux. De quoi Crimminser au scandale.
« L'affaire Crimmins a hanté pendant longtemps les couloirs des tribunaux new-yorkais. Sous couvert d'anonymat, un ancien juge affirme que "crimminser" serait même devenu un verbe dans le jargon juridique new-yorkais. Dans quel contexte ? "Crimminser une affaire, ça veut dire balayer sous le tapis les erreurs du procureur ou de la police en faisant condamner un innocent." »
Tellement plus facile de la croire coupable que de se poser de véritables questions… Et surtout ça rassure, la coupable est en prison, nos enfants sont à nouveau en totale sécurité.
Aucune preuve mais déclarée coupable à trois reprises.
Quelle époque !
(I Can’t Get No) Satisfaction…
« L’Affaire Alice Crimmins », Anaïs Renevier.
« Une ancienne élève d'un établissement catholique du Queens se souvient de l'ambiance qui régnait dans le quartier, à la fin de l'été : "Il y avait toujours trois choses dans la salle de classe de mon école catholique : le drapeau américain, un crucifix et une statue de la Vierge Marie. Chacun de ces symboles servait d'amulette, pour nous protéger contre ses équivalents profanes : le drapeau se dressait contre le communisme ; le crucifix se dressait contre Satan ; et, au début de l'année scolaire 1965, la Vierge Marie se dressait contre Alice Crimmins." »
Le drapeau américain, un crucifix et une statue de la Vierge Marie... Vive l'Amérique.
RépondreSupprimerTentante ton histoire de fille trop belle, trop libre, pas assez triste pour être honnête.
T'ai je déjà VIVEMENT recommandé La petite femelle de Philippe Jaenada ?
Une fille un peu coupable mais beaucoup crimminsée et une plongée remarquable dans une époque voire deux... Et c'est admirablement écrit.
Je crois oui. D'ailleurs je dois l'avoir dans un coin. Il me sert d'haltères de 5 kg (au moins)...
SupprimerTu sais créer l'envie.
RépondreSupprimerDes fois, faut de l'envie ou de la Satisfaction (I can't get no)
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