dimanche 14 janvier 2024

Les Misérables

Cela fait quelques années que je ne m'étais pas promené en terre catalane, pour boire une bière fraîche sur une terrasse ombragée à regarder le cul des catalanes ou le sourires des andalouses. En attendant Penelope Cruz, qui sait, venue s'aventurer dans mes fantasmes ou mes souvenirs, je m'installe pour déguster un bon polar, premier d'une trilogie, signé d'un maître de la littérature espagnole, découvert avec Les soldats de Salamine et surtout établi au zénith de mes écrivains avec A la vitesse de la lumière, un chef d’œuvre. 
 
A toi, venu t'asseoir à la table d'à-côté, bienvenue donc en Terra Alta... 
 
"Suite à l'assassinat de sa mère, Melchor abandonna les ateliers qu'il fréquentait et arrêta toute activité sportive sur les terrains de la prison. II se replia sur lui-même. Il prit du poids. Il ne parvenait plus à dominer ses pensées, aussi ses pensées le dominèrent-elles, des pensées morbides et immuables, obsédé qu'il était par ce qui était arrivé à sa mère ou par ce qu'il imaginait lui être arrivé. Les deux seules activités qui soulageaient en apparence son obsession étaient précisément celles qui l'alimentaient le plus : parler avec Vivales et lire Les Misérables, qui durant ces jours de deuil cessèrent d'être pour lui un roman pour devenir autre chose, quelque chose qui n'avait pas de nom ou qui en avait beaucoup, un vade-mecum vital ou philosophique, un livre oracle ou sapiential, un objet de réflexion à explorer tel un kaléidoscope infiniment intelligent, un miroir et une hache. Melchor pensait souvent à Mgr Myriel, l'évêque qui fit de Jean Valjean M. Madeleine, le saint persuadé que l'univers est une immense maladie dont le seul remède est l'amour de Dieu, il pensait à l'évêque et se disait qu'il était vrai que l'univers est une maladie, comme le croyait l'évêque, mais que, contrairement à l'évêque, il vivait dans un monde sans Dieu et que dans ce monde il n'y avait pas de remède contre la maladie de l'univers. Bien évidemment, il pensait à Jean Valjean et à sa certitude que la vie était une guerre et que dans cette guerre, c'était lui le vaincu et les seules armes à sa disposition, les seuls carburants, étaient le ressentiment et la haine, et il sentait que Jean Valjean c'était lui, ou qu'il n'y avait aucune différence essentielle entre eux deux."

Cela commence par un fait divers banal, même pas sûr que la une du journal en soit bousculée : les époux Adell, riches nonagénaires propriétaire de la grande usine locale, monopole des richesses et de l'emploi, viennent d'être retrouvés morts, déchiquetés, torturés. Du sang, des silences, l'enquête commence avec le jeune Melchor, féru de littérature du XIXème. Mais c'est surtout l'occasion d'en découvrir un peu plus sur ce policier qui doit son salut à Jean Valjean et Javert. Délinquant juvénile, c'est en prison qu'il découvre Les Misérables de Victor Hugo (roman que je n'ai bien sûr pas lu, contrairement à Melchor qui en fait son livre de chevet pendant des années, lisant, cornant, relisant, écornant, à de nombreuses reprises). Et c'est ce livre qui le sauva, contrairement à sa mère et sa femme assassinées toutes les deux, de quoi approfondir les démons de Melchor au cœur de son âme.

La dernière page tournée avec la résolution de ce crime de haute bourgeoisie espagnole, la dernière gorgée avalée de cette IPA amarillo, la dernière lame rangée en attendant que la justice s'attaque à l'injustice, je repose Terra Alta sur l'étagère de ma bibliothèque où sont classés mes autres Actes Sud. A sa droite, Indépendance, le second volet des Misérables de Melchor qui m'embarquera un autre jour sur d'autres terres catalanes.
 
"Melchor prit au hasard quelques livres courts qui l'ennuyèrent au point qu’il ne les finit pas. Le jour où il les rendit à la bibliothèque, le Français était en train de cataloguer un livre très épais, en deux tomes, intitulé Les Misérables. Inévitablement, Melchor se souvint de l'admonestation récurrente de sa mère : "Si tu veux être aussi misérable que moi, ne travaille pas à l'école."
- Tu l'as lu ? demanda-t-il.
- Évidemment, répondit le Français. C'est un roman très connu.
- Et c’est bon ?
- Ça dépend.
- Ça dépend de quoi ?
- Ça dépend de toi, répondit le Français. L'écrivain fait la moitié d'un livre, l'autre moitié, c'est toi qui la fais." 
 
"Terra Alta", Javier Cercas.
Traduction : Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon.
 

 

3 commentaires:

  1. Bon ben je me suis rendue à la vitesse de la lumière vers le chef d'œuvre et ben forcément tu donnes envie.
    Il faut que je prenne des notes, je vais oublier...
    Je n'avais jamais vu Depeche mode (qui ne fait pas partie de ma play list) sur scène. Sexy le gars.
    Merci pour ces beaux articles qui changent du tout venant.

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    1. Depeche Mode, j'ai vécu avec eux. Mais j'ai ce regret de ne les avoir jamais vu en concert...

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    2. Et je viens de remarquer, qu'à la vitesse de la lumière était mon tout premier billet ici... C'était il y a bien longtemps quand j'ai commencé d'écrire mes mémoires...

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