mercredi 31 janvier 2024

Lycée Noir, Lycée Blanc

 

« NOTE HISTORIQUE 

Le 21 juin 1974, statuant dans l'affaire Morgan contre Hennigan, le juge fédéral W. Arthur Garrity Jr décida que le Comité de l'Enseignement Public de Boston avait "systématiquement désavantagé les élèves noirs" dans les établissements scolaires. La seule façon de remédier à cette situation, concluait le juge, était de transférer quotidiennement en bus des enfants des quartiers majoritairement blancs vers des écoles des quartiers majoritairement noirs, et inversement, afin de mettre un terme à la ségrégation dans les lycées publics de la ville. »

C’est donc dans cette ambiance d’un été 1974, juste avant la rentrée scolaire, que débute cette histoire, au cœur du « busing ». La tension raciale est palpable dans la chaleur suffocante de Boston. Mary Pat attend sa fille de dix-sept ans, Jules, qui n’est pas réapparue depuis 48 heures. Tiens, sa disparition remonte à la découverte du corps d’un jeune noir dans le métro, station blanche. Les quartiers de Boston sont bien quadrillés entre les noirs et les blancs, et comme pour les écoles, le mélange est mal vu, mal venu. Il n’engendre qu’inquiétudes et problèmes. Lycée noir, lycée blanc, ça sonne comme Ville noire, ville blanche...

« Elle a trouvé une station sur sa radio - WJIB - qui ne passe que de la musique classique et elle l'écoute en permanence. Elle ne la ferme même pas quand elle va se coucher (non qu'il y ait beaucoup de sommeil dans sa vie ces jours-ci). Depuis son enfance, elle a toujours été fan du hit-parade, jamais d'un groupe en particulier, juste de la musique du jour. Cet été, elle a adoré Rock the Boat, Billy Don't Be a Hero et sa préférée, Don't Let the Sun Go Down on Me. Mais à présent, toutes ces chansons lui paraissent stupides parce qu'elles n'ont pas été écrites en ayant à l'esprit quelqu'un comme elle. Même ces paroles "Tout perdre, c'est comme si le soleil se couchait sur ma vie" lui semblent insuffisantes, parce que tout perdre, ce n'est pas comme si le soleil se couchait sur sa vie, c'est comme si une bombe atomique avait explosé à l'intérieur d'elle-même, et maintenant elle fait partie du nuage en forme de champignon, mille petits fragments d'elle se désintégrant et voltigeant dans l'espace, dans mille directions différentes. »

Dennis Lehane me plonge ainsi dans un quartier, South Boston, à la recherche de l’impensable, de l’improbable, un temps électrique, comme un orage venu perturber la canicule de cet été. Un noir laissé pour mort sur les rames d’un métro, une blanche qui a disparu depuis plusieurs jours, coule-t-elle des jours plus tranquilles en Floride, c’est ce que semble ébruiter la rumeur. Et au cœur de cette affaire de bus, de manifestations anti-bus, il y a le portrait de cette femme Mary Pat, qui bougera les codes de la rue pour découvrir la vérité, une sacrée bonne femme dans cet univers masculin, dans ce quartier où il n’est pas bon de montrer ses sentiments. Nul doute que cette histoire, cette femme feraient le début d’un bon scénario de film. 

Difficile de croire pour Mary Pat que la disparition de sa fille soit liée à la mort du jeune Auggie, même si sa dernière apparition, aux dires de ses camarades, serait sur ce même quai entre minuit et une heure du matin…  Mais en attendant, je prends un verre de whisky, pour l’ambiance irlando-catholique du South, avec Jimmy ou Sully racontant leurs souvenirs avec les Sox. Assis sur le capot de la voiture, je lève les yeux au ciel, le doigt porté sur la lune, pleure la solitude que laisse certaines vies et levant mon verre à sa lueur et sa beauté, écoute profondément… le silence.       

« C'est une douce soirée d'été qui sent la pluie. Bobby accompagne Carmen jusqu'à sa voiture. A un moment, il lance un regard de côté, la surprend en train de lui lancer aussi un regard de côté avec un sourire discret, et il songe à la possibilité que ce n'est peut-être pas l'amour qui est le contraire de la haine. C'est l'espoir. Parce que la haine prend des années à se former, tandis que l'espoir peut déboucher au coin de la rue alors même que vous avez les yeux ailleurs. »

« Le Silence », Dennis Lehane.
Traduction : François Happe.



6 commentaires:

  1. Tu sais déjà tout le bien que je pense de ce roman et de Dennis Lehane. Avec ce premier rôle féminin dont tu parles. Et c'est rare mais là je ne te suivrai pas pour l'illustration musicale. Smoke Stack au bar par contre, je te suis.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il en faut pour tous les goûts. The Dresden Dolls originaires de Boston, j'avais écouté ça il y a bien longtemps - de toute façon, ils existent plus en tant que tels - et pour l'occasion j'ai re-découvert. Après le troisième verre de Smoke Stack, ça passe mieux, tu verras :-)
      Après Clint Eastwood (Mystic River), après Ben Affleck (Gone Baby Gone), après Martin Scorcese (Shutter Island), je me demande bien quel réalisateur de grand nom se portera sur ce Silence...

      Supprimer
  2. C'est sans doute le titre qui va me faire renouer avec Lehane, dont je lisais systématiquement les nouveaux titres, au début de sa carrière. Ca s'est gâté après la fin de sa série Kenzie/Gennaro, j'ai tenté deux/trois romans, sans y retrouver la densité des précédents. Pour celui-là, je suis plutôt confiante..

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'ai lu qu'un ou deux Kenzie/Gennaro, et j'aurais tendance à préféré des one shot comme ce Silence ou Shutter Island par exemple... Après, je suis petit joueur avec Lehane, je suis loin d'avoir explorer son œuvre

      Supprimer
  3. Oui Sacré bonne femme cette Mary Pat et sa surprenante Jules. Et oui on voit bien le film. Spike Lee pourrait s'y coller. Lehane c'est vraiment du bon mais comme toi j'ai encore du chemin à parcourir.
    Au réveil je découvre grâce à France Inter ce Robert à la bio étonnante comme ce jour où son grand-père l'a utilisé comme appât pour attraper un alligator...
    https://youtu.be/B_4GgYLNQso

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Spike Lee... Pourquoi pas... Ça fait un moment que je n'ai pas vu un bon film de sa part...

      Robert, connaissais pas. Le bayou, ça me donne envie de sortir un roman de James Lee Burke...

      Supprimer