mercredi 2 août 2017

Le Royaume des Marécages

« Le palais des Marécages, avec ses « domestiques » - des êtres qui ne semblaient qu’à demi humains ! – répugnants, et cependant pitoyables. Hommes et femmes étaient pareillement difformes ; d’âges extrêmement divers, mais généralement avancés ; leur peau avait la pâleur horrible des ventres de crapaud ou de serpent ; ils avaient les yeux creux, affligés et cernés d’ombre ; »

Minuit, dans le jardin du bien et du mal. Deux noirs sont lynchés par des sympathisants à la cagoule blanche. Nous sommes au début de l’année1905 et le Ku Klux Klan a ses entrées dans le domaine universitaire de Princeton. Le lieu de cet épais roman de Joyce Carol Oates, pensionnaire du même collège. Elle connait donc bien les mœurs et son histoire. Et quelle étrange histoire son esprit a fomenté dans les marécages de ses environs. Une histoire de démon et de malédiction centrée autour de la personne de Woodrow Wilson, président de l’Université de Princeton, avant qu’il n’engendre des fonctions bien plus hautes et méritantes.

« Les enfants de la nuit, c’est ainsi qu’il les nommait. Ces créatures hideuses qui s’ébattaient sous la fenêtre de notre chambre, dans le cimetière désolé. Elles étaient pourtant presque aussi actives durant la journée : piaulant, gloussant et se chamaillant, elles fouissaient les tombes décrépites et les flaques fétides d’eau noire avec une avidité frénétique. »

Mais après tout, deux noirs au bout d’une corde, on s’en balance un peu… Non ? Il y a plus important : la Malédiction ! Une jeune femme, bien sous tous rapports, la fille du pasteur, enlevée lors de son mariage par un « être », plus proche du diable que de l’humain, parait-il, pourtant on a fumé le cigare ensemble le mois dernier, mais je lui ai trouvé un air louche quand même, surtout après le second bourbon pris dans le fauteuil en cuir de la bibliothèque.


Un garçon qui se recueille auprès d’une tombe et qui se transforme lui-même en gargouille de pierre. Un autre respire les pétales d’une fleur de Lys et s’en trouve empoisonné. Les évènements s’enchainent dans le tempo des pages qui défilent. Il faut dire que plus de 800 pages pour décrire ces « Maudits », il faut de la matière…  

« Il n’était pas entièrement vrai que les anciennes épousées d’Axson fussent mortes ; un nombre variable d’entre elles, jusqu’à vingt semblait-il parfois, étaient bien vivantes, retenues prisonnières dans certaines pièces du palais des Marécages, ou autorisées à en sortir pour accomplir les basses besognes, telles la pitoyable vieillarde au linceul. »

Alors, du coup, il y a quelques digressions, des pages mêmes, des chapitres entiers. Des trucs qui ne servent à rien dans l’histoire. A lire en option, les esprits du malin diront. Joyce Carol Oates laisse vagabonder son esprit. Des parties inutiles… qui auraient méritées d’être coupées au montage pour en faire un film de 120 minutes au lieu d’une série de 22 épisodes… oui, sauf que toutes ces digressions font de ce roman foisonnant de richesse une atmosphère indéfinissable. Je reste pris dans l’engrenage, et si j’ai envie de bailler, je me sers un double bourbon, et me retrouve à nouveau basculer dans ce monde de ténèbres où les marécages sont illuminés par la face obscure de la lune.  

« Une grosse cloche sonnait les heures. Un son qui semblait résonner sous les eaux, de même que nous semblions les habitants d’une mer ancienne.
Et parfois ce son était creux, morne, oppressant et sourd, comme s’il venait de l’intérieur, de la moelle de nos os. »

Et sous l’obscurité de la lune, entre pâle et bleue, les rencontres se succèdent au coin d’une rue, dans une taverne aussi bruyante que puante, odeur de marécage, odeur du vice, délice de la vie, vie ouvrière et bourgeoisie bien-pensante. En plus du futur président des États-Unis, je fréquente l’activiste Upton Sinclair, l’un des pères fondateurs du socialisme dans ce pays, je lis les premiers poèmes d’Émilie Dickinson, je découvre un Mark Twain sur une plage des Bermudes et un grand Jack London, grand par son mépris et son ivrognerie. En plus du Diable. De l’élite aux pauvres, des noirs aux femmes, J.C.O tisse la toile sociale des États-Unis en ce début de XXème siècle, un roman d’une incroyable richesse, foisonnante de détails, plus de 800 pages de littérature gothique.  

« Maudits », Joyce Carol Oates



15 commentaires:

  1. J'aime moins la Oates gothique. Je la préfère sur le terrain des vaches.
    Je retiens que celui-ci est à lire avec un double bourbon!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est que le spectre J.C.O. est tellement large qu'il permet tous les goûts. Double ou triple même, le bourbon.

      Supprimer
  2. Et te resservir un deuxième bourbon ne t'endort pas davantage ?
    Des livres ou des films de la bonne longueur, c'est pas facile à trouver.
    En ce moment j'en lis un qui me semble court et il me semble INTERMINABLE...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Plus c'est long, plus c'est bon... Enfin pas toujours... Tout dépend de l'art de se servir de sa... plume. Et ma foi, Joyce Carol Oates manie mieux sa plume que moi mon...

      Supprimer
  3. Depuis le temps que je veux la lire...

    RépondreSupprimer
  4. J'hésite... je me demande si avoir lu ton billet ne me suffit pas... J'ai tenté une fois la plume de JCO et j'ai pas aimé. Je pensais choisir ce livre pour la seconde chance, je ne suis plus sûre

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je pense que si tu veux lui donner une seconde chance, mieux vaut en choisir un autre... :-) Il est "particulier", et je ne voudrais pas que tu m'en veuilles ensuite... Celui-là, il faut vraiment avoir envie de le lire pour s'y atteler, sinon...

      Supprimer
    2. Euh... tu sais, je risque pas de t'en vouloir si je lis un bouquin que j'avais prévu de lire ;)
      Je suis pas encore psychopathe à ce point ^^

      Supprimer
  5. Bonjour le Bison, chaque fois que j'ai lu un JCO, je n'ai pas été déçue mais c'est toujours des pavés. Cela prend du temps. Je note ce roman gothique. Bonne après-midi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Dès fois, elle écrit aussi de bons petits bouquins. Mais c'est vrai qu'il n'y a pas de demi-mesure, soit des pavés, soit des fins... sans juste milieu...

      Supprimer
  6. Ça me rappelle La puissance des vaincus de Wally Lamb, un roman de 1000 pages, un pavé comme tous ses autres romans. Ça me faisait un peu peur au début et puis au final c'est l'un de mes grands romans coup de coeur. Je crois que dans les longueurs il y a une atmosphère qui s'installe, des sentiments qui se tissent et évoluent, des majeurs qui se trémoussent... ^^
    J'meurs d'envie de lire cette auteure, je ne sais seulement pas par lequel me laisser tenter. Tabarnak...!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J.C.O. écrit un livre par an... alors difficile d'en choisir un... D'autant plus qu'ils sont très différents... Peut-être pour ça que j'y reviens de temps en temps... Je découvre toujours de nouvelles histoires avec cette auteure, même si ses histoires tournent souvent autour des femmes...

      Supprimer
  7. 800 pages dans les marécages ... euuuhhh ... là je dis non, même pour un JCO !
    ta ta ta n'insistes pas s'il te plait !

    ;-)

    RépondreSupprimer
  8. Il n'y a en fait qu'une vingtaine de pages dans les marécages, mais je n’insiste pas, jamais. Je sais que ce n'est pas ton univers.

    RépondreSupprimer