lundi 4 juin 2018

Si tu n'as pas lu le livre, si tu n'as pas vu la série, je ne dirais rien mais je peux te servir un verre, il doit bien rester une dernière goutte au fond de ma bouteille de Crown Royal...

Un jour d'automne ou de printemps, peu importe la saison, le temps défile, la vie reste une putain de tranche de temps qui s'écoule ou pas, je déambule dans le village. Le café de quartier que j'ai toujours vu s'est transformé en maison d'habitation. Où est-ce que les gens prennent-ils leur bière maintenant en sortant du boulot, ou le dimanche matin avant d'aller à la messe à l'église Saint-Martin ? Les cloches sonnent, quelle heure peut-il être, on en revient toujours au temps. Sous la place de l'église, je découvre le mystère du temps, un espace dédié à perdre son temps ou justement à vivre en dehors du temps : une nouvelle boite à livre. Il me faudrait un parasol et une bière pour flirter avec le temps et ma nouvelle découverte. Mais le café a fermé il y a des années. A la place, je ne trouve que de la poussière, poussière de ma vie qui s'envole au milieu de cette place sans café, sans hommes, sans jupes qui virevoltent.

« Notre fonction est la reproduction ; nous ne sommes pas des concubines, des geishas ni des courtisanes. Au contraire : tout a été fait pour nous éliminer de ces catégories. Rien en nous ne doit séduire, aucune latitude n'est autorisée pour que fleurissent des désirs secrets, nulle faveur particulière ne doit être extorquée par des cajoleries, ni de part ni d'autre ; l'amour ne doit trouver aucun prise. Nous sommes des utérus à deux pattes, un point c'est tout : vases sacrés, calices ambulants. »

Que j'adore la découverte de ces boites à livres, où je peux regarder et fureter ce que les gens, les vrais pas les pauvres types comme moi ou les bisons solitaires d'une plaine poussiéreuse, ont lu et veulent faire partager ou se débarrasser. Aujourd'hui, je découvre une vieille édition « J'ai Lu », classée dans le domaine S-F. Mon dieu, combien d'années n'ai-je pas lu de romans de science-fiction. D'ailleurs, je n'en lis jamais ou presque. Je pourrais les compter sur les orteils de mes sabots. Je ne suis pas un spécialiste du genre, même pas un ignare, pire que ça. Le pauvre type. Mais pour une foi, je connais. Une série que je n'ai pas vu a remis au goût du jour ce texte qui date pour la version originale de 1985, une vieille dame canadienne que je ne connais pas encore l'a écrit comme pour décrire le monde dans lequel nous pourrions bientôt vivre. Quarante ans après, ce roman n’apparaît plus vraiment comme de la science-fiction, ni de la dystopie mais comme une réalité potentielle suivant les options choisies pour nous gouverner.

Je n'ai pas l'intention d'en dire plus sur Defred et son costume écarlate, sur les anges de la réalité ou de la fiction dystopique. Simplement, parce que si tu n'as pas lu le livre, tu as vu la série, si tu n'as pas vu la série, tu as lu le livre, si tu n'as ni lu le livre ni vu la série, tu vas te précipiter sur la boite à livre dans laquelle je déposerai cette vieille édition de la vieille Margaret Atwood – comme tous les livres que je récupère dans des boites à livre. Et en attendant l'accomplissement de la femme ou le fanatisme de ce monde, je finis les dernières gouttes de ma bouteille de Crown Royal.

« La nuit m'appartient, c'est mon temps à moi, je peux en faire ce que je veux, pourvu que je reste tranquille. Pourvu que je ne bouge pas. Pourvu que je reste couchée immobile. La différence entre coucher et se coucher. Se coucher est toujours pronominal. Même les hommes disaient j'ai envie de me coucher et pourtant ils disaient partout j'ai envie de coucher avec elle. Tout ceci est spéculation pure, je ne sais pas vraiment ce que disaient les hommes. Je ne connaissais que leur parole.

Je suis donc couchée à l'intérieur de la chambre sous l’œil en plâtre du plafond, derrière les rideaux blancs, entre les draps, aussi lisse qu'eux, et je fais un pas de côté pour sortir de ce temps qui m'appartient. Sortir du temps. Pourtant c'est bien ceci le temps et je ne suis pas à l'extérieur.

Mais la nuit est mon moment de sortie. Où irai-je ? »


« La Servante Écarlate », Margaret Atwood.


7 commentaires:

  1. Pas spécialement fan de SF, mais j'avais noté ce livre, réédité récemment...

    Faut que je teste un jour ces "boîtes à livres" qui fleurissent près des mairies de villages ! ;-)

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    1. Mais c'est pour cette raison que la réédition ne fait plus mention de SF. Parce que ce n'est pas vraiment de la SF.
      Je connais une belle boite à livres, juste de l'autre coté du Cher, dans un petit village qui m'a l'air bien sympathique. Tu y trouveras, peut-être, cette servante écarlate qui y a été déposée.

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    2. Ok, ça me convient parfaitement, alors !

      Ah... mais tu vas te faire un tas d'amis anonymes là-bas, toi ^^

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    3. je me permets de faire une petite remarque, si vous ne lisez pas ce livre parce que vous pensez que c'est de la SF, vous vous trompez! Margaret Atwood insiste sur ce point: "Je me suis fixé une règle : le roman ne devait contenir que des élément qui ont réelle existé à un moment donné de l’Histoire. J’ai donc entrepris énormément de recherches. J’ai voulu mettre en place cette règle pour que personne ne puisse dire que j’avais l’esprit tordu et que j’avais inventé toutes ces horreurs. Je n’ai rien inventé." (...).

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    4. et comme je ne lis pas de SF, tout est donc authentique comme le Crown Royale dont ça fait une éternité que je n'ai pas bu. Depuis les dernières gouttes de ce roman, probablement...

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  2. On en fait de belles trouvailles dans les boites à livres, j'adore !

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    1. mouais... moi, j'attends surtout l'instauration des boites à bouteilles !!

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