samedi 12 janvier 2019

Si Tu Vas à San Salvador


Si tu vas à San Salvador, va voir la femme qui sait lire dans les yeux du sort et qui traîne dans les ports… et les bordels aussi. Il y a deux endroits où les affaires se font : au bar ou au bordel. Ce sont là que les contrats se signent ou que les poignées de main se serrent. J’y croise de braves types d’ailleurs, au sens large du terme, comme Juan Alberto Garcia surnommé Robocop, une machine à tuer probablement. Cet ex sergent d’un escadron de la mort au Salvador, du jour au lendemain, se retrouve au chômage. Le monde est donc en crise, pour tout le monde. La guerre est terminée – sic – il doit penser à sa reconversion dans le civil. Les contacts gardés, surtout une réputation monstrueuse, lui permirent de facilement trouver le job, mercenaire et garde rapprochée.

« C’était un hôtel minable, où je cherchais à être vu le moins possible, parce que la meute d’indics devaient déjà avoir mon portrait. Ce mois-là, je n’ai rien fait : je passais une partie de la journée dans les cinémas Dario, Izalco et Alameda, où il y avait une double projection de films pornos ; le soir j’avalais quelques bières dans un restaurant à deux coins de la rue de l’hôtel ; et je passais le reste du temps à dormir, profondément, comme si je récupérais d’une fatigue vieille de plusieurs années, comme si pour la première fois j’avais l’occasion de me reposer autant que je le voulais, sans l’idée que j’allais devoir tout à coup participer à une nouvelle opération. »

Horacio Castellanos Moya décrit sans pitié son pays d’adoption dans lequel règne la sauvagerie de l’âme humaine, la corruption sanglante de cette société. La guerre est finie, mais les factions rivales continuent de s’affronter, l’armée est toujours aussi présente, les morts n’ont guère d’importance, les hommes non plus. Seul le pouvoir justifie les actions. Et l’argent, et la drogue. Notre sergent est parfois dans de mauvaises passes, surtout qu’il ne peut plus aller dans son hôtel de passe, avec sa pute attitrée, trop visible, trop prévisible, mais « Robocop » n’est pas un surnom usurpé. Sans âme, et surtout sans remord, la survie à tout prix, le prix du sang et de la vie.   

Alors, oui, un roman sans espoir mais sans concession aussi sur la pourriture de ce monde. Un univers masculin et sauvage, pour ne pas dire barbare. Un peu d’alcool, mais du fort, quelques putes, mais des belles, du sang, beaucoup de sang qui gicle abondamment… Si tu vas à San Salvador, tu sais à quoi t’attendre maintenant… Et la femme dans tout ça… Elle s’en est retournée vers d’autres clients à la chemise plus blanche que ce mélange kaki militaire et rouge sanguin.

« Numéro Un s’est chargé de mettre hors service le système d’alarme, Deux et Trois ont paralysé les chiens avec des fléchettes, et Rudy et moi on a égorgé les deux sentinelles. Ensuite on a pénétré dans la maison. Je suis entré le premier. Les deux types n’ont pas eu le temps de réagir : ils étaient plongés dans les sofas, en train de regarder la télé, quand les rafales des pistolets-mitrailleurs avec silencieux les ont abattus. On a grimpé les escaliers : Deux et Trois se sont préparés à prendre d’assaut la première pièce, pendant qu’Un et moi sommes allés jusqu’au bout du couloir : lui s’occuperait du grand patron, et moi je réglerais son compte au chef des gardes du corps. Rudy est resté au rez-de-chaussée. Mais Deux et Trois ne sont pas sortis de la pièce au bout des sept secondes programmées. Un m’a regardé avec inquiétude. Il m’a donné la consigne du plan C : lui rentrerait abattre le grand ponte et moi je resterais dans le couloir. Et c’est ce qu’il a fait. Mais sept autres secondes ont passé et ni Un, ni Deux, ni Trois ne réapparaissaient dans le couloir. Le silence était complet. L’opération avait foiré. »

« L’homme en Arme », Horacio Castellanos Moya.



11 commentaires:

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    1. C'est presque aussi salissant que de manger des spaghettis à la bolognaise...

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  2. J'ai lu Le bal des vipères et j'ai aimé. J'ai écouté cette semaine même un vieux disque de Lavilliers. Alors tout me va ici.

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    1. Les vieux disques de Lavilliers ont une saveur particulière (remarque, les récents aussi). Et puis, je sens que mon histoire avec Horacio n'est qu'un début...

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    1. Tant pis... Il doit y avoir du bon rhum, tout de même...

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  4. Une jour j'irai au Salvador et je tâcherai de me faire amie avec Juan Alberto Garcia, pour découvrir les bas fonds du pays, je me sentirais entre bonnes mains :D
    Ça joue dur là-bas, très dur. Mais oui, un jour j'irai le découvrir ce pays sauvage, sauvage de nature humaine et de paysage. Parce que c'est comme ça, une attirance parmi tant d'autres...

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    1. "une" jour, quelle merveille... ^^

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    2. Pour le côté sauvage, le Salvador a du répondant. Violence et bas fond, misère et flaque de sang. Mais comme tous ces pays, en dehors des sentiers battus de la civilisation barbare, il doit être à découvrir...

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  5. Pour celui là je passe
    Je crois que c’est plus sage hein ?
    :D

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    1. Tu dois pouvoir te contenter de la chanson de Lavilliers...

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