« Dehors, juste au-dessus du wagon, dansent de légères étincelles bleues, produites par le frottement du réseau de câbles et d'antennes avec les caténaires, des étincelles comme des frêles incisions dans la masse compacte du ciel, qui éclairent des congères boueuses repoussées le long des voies, avec leurs formes arrondies, massives, tels des mammouths ou des dinosaures endormis, posés là dans l'attente d'un hypothétique réveil. »
NIce, 9 mars 1881.
Anna Alexandrovna, jeune aristocrate russe, est sur le quai de la gare. Une certaine impatience même à quitter ces lieux, d'une villégiature de luxe. Les "exils" bourgeois de ses parents sur la côte d'Azur l'ennuient. Elle est une de ces beautés, celle des filles de bord de mer, mais son âme slave la ramène toujours vers la grandeur de son pays, sa vodka, son herbe à bison et ses promenades à cheval dans l'immensité de ses steppes.
« Le train poursuit son avancée dans la nuit, comme s'il ouvrait la terre droit devant lui, rejetant les ténèbres de part et d'autre de la voie. La nuit est noire, d'un noir dense, serré, d'où toute trace de gris a disparu. »
Moscou, 8 mars 2012.
Irina, une de ces beautés des filles de l'Est qui se dévoile sur le papier glacé d'un magazine ou sur un site de rencontres pour ceux qui recherchent l'âme slave, avance timidement sur le quai. Une certaine appréhension l'envahit, comme une peur de l'inconnu. De Moscou à Nice, elle quitte tout pour Enzo, un de ces gars qui se réfugie derrière un pseudo pour rencontrer l'amour. Elle ne l'a jamais vu, ne lui a jamais parlé, mais le monde virtuel les a rapproché. Il aurait pu lui payer un billet d'avion, pourtant elle a préféré la lenteur du train, comme pour mieux respirer son attente et sentir le paysage défiler derrière la vitre du compartiment.