Les dernières pièces de théâtre que j’ai lu doivent remonter à mes années collèges. Je ne sais même plus, depuis ces lustres ancestraux, son auteur, un type qui se faisait prénommer Molière ou Corneille, peu importe, bref ce classicisme scolaire m’ennuyait profondément, parce que j’ai toujours pensé que le théâtre se vivait d’abord avant de se lire…
Alors, je me suis dit, avant d’annoncer ma mort imminente – à moins qu’intérieurement elle soit déjà survenue, il fallait que je me remette au théâtre, par choix, par goût et plus par obligation. Et du coup, pas n’importe quel texte. Il fallait quelque chose qui me transcende, la dernière pièce de théâtre, le dernier acte d’une vie. Celle qui servira de testament ou de chronique posthume car demain sera juste la fin du monde.
J’adore Xavier Dolan, même si j’ai une nette préférence pour ses films dans sa langue natale, et c’est avec beaucoup de plaisir (encore plus qu’à sa sortie en salle) que je me suis replongé dans la campagne française avec Gaspard Ulliel, Vincent Cassel et Nathalie Baye, adaptation cinématographique d’une pièce de Jean-Luc Lagarce. Il fallait que je jette mon dévolu sur ce texte et ô combien que j’ai apprécié ce plaisir, presqu’autant qu’une bonne broue aux saveurs locales d’outre-Atlantique. Merci Xavier de m’avoir permis de m’aventurer hors de mes prairies habituelles où l’herbe aromatisée à la vodka est si verte…
« Un pic épeiche gras s’envole d’un froissement d’ailes. Le gars a glissé
la main sous sa jupe, écarté les jupons, et joue avec trois doigts dans sa
parenthèse rouge. Les poils sont rêches, la chair suave, dégoulinante. Miel
rose. Elle respire vite, le dos collé au tronc de l’arbre, tendue, les cuisses
écartées en avant, comme une ogresse qui veut pisser debout pour y noyer le
monde. Des nuages de buée s’échappent de leurs bouches et leurs corps frottés à
vif fument dans la blancheur crue de l’aube. »
La nuit, un jour. Le hasard d’une
rencontre, et cette promenade dans l’obscure forêt qui entoure mon âme. La lune
bleue n’illumine plus la clairière de la vie, elle s’enfuit à l’ombre des
nuages, là où l’âme miséreuse ne peut la regarder, la sublimer. Un vent
souffle, emportant tous ses parfums, de la résine de pins à la fleur de jasmin.
Quelques étoiles, pour lesquelles on ne croit plus, j’hume ces 3 heures du
mat’, le meilleur instant de la journée, de cette vie, à peine recroquevillé
pour garder une once de chaleur en moi. Un bouquin sur les genoux, qui sent
plus le sapin que le jasmin. Je me trouve dans cette forêt aux milles senteurs,
qui chatoient mon âme nocturne. C’est une putain de rencontre, peut-être la
plus belle plume de cette année. J’ai été émerveillé par la poésie de l’auteur.
En une nuit, j’ai visité « le
camp des autres ». J’y suis resté plusieurs nuits, tant je me suis senti à
mon aise, longtemps j’ai observé, jusqu’à ce que le temps s’estompe dans ma
mémoire. Le jour est apparu, le soleil est venu. La nuit est réapparue, pas la
lune. Je fais avec, désormais. Tristement, je sens ces herbes sauvages qui s’envolent
des pages comme les volutes d’une cigarette laissée à l’abandon dans un
cendrier à la terrasse d’un café. Je n’ai jamais autant senti dans un bouquin,
cette ode aux parfums de la nature. Respire. Inspire. Fraîcheur d’hiver, senteur
de la forêt. Une petite fumée sort de mon corps chaque fois que je respire, ce
souffle qui s’échappe c’est un peu de mon âme qui s’enfuit. Et pendant ce temps,
un petit enfant erre dans cette forêt. Et moi, en sauvage que je suis, je le
poursuis, les pages se tournent comme les feuilles qui s’envolent. La brume
entoure la brume. Elle devient intense, comme le plaisir que j’ai à lire cet
étonnant bouquin, dans le genre jamais lu jusqu’à présent. A la limite, je me
fous de Gaspard, probablement mon coté peu sociable qui ressort même dans mes
lectures, mais je respire ces sensations olfactives parce que ce putain de
bouquin est rempli d’odeurs et d’émotions.
Le
ciel devint noir, le silence impose sa loi. Seules les grenouilles continuent à
jacasser leurs dernières soirées dans un marais infesté d’alligators. Les vents
s’engouffrent entre les branches nues des arbres déracinés. Une pluie furieuse
se déchaîne et s’enchaîne dans un rythme endiablé, Doug Cosmo Clifford à la
batterie, une même furie. Une pancarte s’envole « La Nouvelle-Orléans par
les Bayous ». Born on the bayou. John Fogerty chante dans ma tête, même dans
les sombres vies, la musique reste mon salut. La terre est abandonnée à la
sauvagerie de la nature. Je ne croise personne, à part quelques vieux et
quelques nègres, abandonnés à leur sort. Et le vain espoir que le gouvernement leur portera secours. Ou la lucidité de n’être rien à leurs yeux. Juste des
poussières de vie noyées dans ce torrent de boue qui se déverse dans les rues,
abandonnées de toutes âmes, une ville fantômes sans ses musiciens ni mêmes ses putains.
« Moi,
Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans, j’ai ouvert la
fenêtre ce matin, à l’heure où les autres dorment encore, j’ai humé l’air et
j’ai dit : « Ça sent la chienne. » Dieu sait que j’en ai vu des petites et des
vicieuses, mais celle-là, j’ai dit, elle dépasse toutes les autres, c’est une
sacrée garce qui vient et les bayous vont bientôt se mettre à clapoter comme
des flaques d’eau à l’approche du train. »
Cela
fait longtemps que les romans de Laurent Gaudé m’attendent. Je le sentais bien
ce type. Sa plume incisive, son rythme sans relâche, son immersion dans les
bayous, dans la Louisiane, dans l’ouragan même. Les alligators hachent leurs proies,
un prêtre au hachoir qui se perd, un enfant perdu qui se noie, une vieille
négresse à la peau fripée qui survit, la fierté dans son regard, la bonté dans
son cœur. Ce roman, on pourrait en faire une chanson, comme un ouragan qui
passait sur moi l’amour a tout emporté… Emportées les vies, sauf celles des nègres,
restés.
Ma
première approche, très caricaturale, remonte aux années 89-90, la rencontre
avec Raymond Babbit. Ray compte les cartes, « pouvoir » très
intéressant sur une table de blackjack, et ça, Tom Cruise a bien perçu le
potentiel de son nouveau frangin. Rain Man, le syndrome du savant, à l’époque
associé à cette époque-là au syndrome d’Asperger. Une minuscule facette de
cette « vie » qui a eu au moins le mérite d’évoquer au grand public la
notion d’autisme.
Daniel
Tammet a ce même profil, capable de te citer les plusieurs milliers de
décimales qui composent le nombre pi. Moi, je n’en connais que 5, je sais c’est
minable. Mais avant tout, dans ce bouquin, il montre sa vie, ses difficultés,
surtout pour son entourage, et ses joies, ses amours. En fait, il vit avec ce
syndrome comme une personne lambda, comme toi comme moi, il voit simplement les
choses de façon différente, une association de couleur, des mots bleus, de la
chaleur ou des idées qui s’associent. Très intéressante, cette perception du
monde, pour comprendre comment son cerveau fonctionne.
« Nous avions à peine vingt ans
et nous rêvions juste de liberté. » Voilà, au mot près, la
seule phrase que j'ai été foutu de prononcer devant le juge, quand
ça a été mon tour de parler.
Une poussière se soulève de
l'asphalte brûlant, la poussière de ma bécane, la poussière de ma
vie. Le moteur vrombit au milieu d'un silence qui s'épanche comme
sur les plaines d'un cimetière. Une lune, bleue, illumine la voie,
celle qui me mènera au bonheur complet, à la liberté, celle de
vivre, celle d'aimer. Aimer la vie, aimer le sourire de cette
serveuse venue rouler son cul avec ma pinte de bière. Je craque
toujours pour un sourire, ma braguette, elle craque pour son cul. Je
me retrouve dans un coin de la salle, dans la pénombre des vies
tristes, là où la poussière est plus abondante, là où je ne
risque pas de gêner ces gens heureux qui roulent des mécaniques,
qui roulent sur des machines rutilantes ou sur des femmes
ruisselantes en écoutant Led Zep.
Quand j'ai fini ma bière, pis mon
whisky, j'enfourche ma bécane bichonnée et je roule seul, au milieu
de la poussière, avec j'imagine, un sentiment de liberté. Même pas
envie de fonder un club, la solitude est ce qui me va le mieux, même
en bécane, surtout. Alors un club avec écusson et règles, je sais
pas, j'ai pas eu le temps de mater tous les épisodes de Sons of
Anarchy. Je poursuis donc mon chemin, la voie tracée sur le bitume
brûlant. Quelques gars derrière moi. La vie de bohème en somme, le
cuir usé et poussiéreux, les santiags usées et poussiéreuse, ma
vie trop longue et encore plus poussiéreuse.
J’arrive
sur le quai de la gare, essoufflé, tout en sueur de désir et du grand amour qui
m’attend probablement de l’autre côté de la voie, à l’autre bout de la ligne du
train bleu. Le soleil commence à se lever. Personne sur le quai. A croire que
les cheminots sont en grève. Juste une femme, sublime avec son prénom à l’odeur
de poussière et d’atmosphère, Arlette. Brune et grande, le genre à porter du
Simone Pérèle taille 100 bonnet D, l’espoir dans son sourire. Elle me raconte
autour d’un café brûlant sorti d’un thermos sa vie sa passion pour les trains,
et surtout ces petites gares qui égrainent le passage dans une certaine France,
loin des grandes agglomérations où les gens s’agglutinent sur les quais. Là, je
respire le silence en même temps que cet air frais qui brûle un peu les poumons
et ce parfum de jasmin qui s’évapore de son corps.
Arlette
navigue de trains en trains, de gares en gares, de bars PMU en bars PMU. Elle
les connait tous, les fréquentent tous à une haute fréquence, carte grand
voyageur à la recherche de son Juju. Elle me raconte ses souvenirs, ses
anecdotes, ses rencontres. Elle me parle de ce numéro de téléphone graffité sur
la porte des toilettes avec son message alléchant « Gros
Zob au 06 11 36 xx xx ». Bien sûr, elle a appelé. Elle me parle
longuement de René-Georges, ce type secrètement amoureux d’elle, grande gueule
et chemise ouverte, odeur de sueur et de naphtaline, représentant de la France profonde et de l’anisette.
Le
soleil irise de son feu le ciel de Corse ou de Rome, je m’égare dans ma
géographie, d’autant plus que la gare n’est plus qu’un souvenir. Tous ce que je
sais c’est qu’on s’y enfile encore quelques pastagas sous le soleil exactement,
ou lorsque la lune fait son apparition. Tout en bout de comptoir, ma place
fétiche, le regard qui se porte sur les serveuses, jeunes et généreuses, qui
tournent autour des tables, un plateau à la main, des verres de pastis, des
pintes de bière, les seins charitables qui ne demandent qu’à être pris en main,
je profite de ce spectacle seul dans mon coin, histoire de philosopher sur ma
vie. Ou sur la chute de Rome, bien que là, je crois que je risque de m’y
perdre, autant faire ce que je sais faire, me contenter de boire mon pastis
devant un bon bouquin, aux phrases longues et presque interminables –
contrairement au contenant de mon verre - que j’apprécie particulièrement. En
plus, la plume se met au service d’un bar… Ce n’est pas Saint Augustin qui va
m’empêcher de reluquer les seins des saintes serveuses si vertueuses qu’elles
me caressent l’âme sensible, les sévices de mon imagination.
« - Vous
êtes une bande d’ivrognes et une bande d’enculés,
Et les suivait
dans le bar. Marie-Angèle, derrière le comptoir, refaisait les gestes qu’elle
connaissait si bien et qu’elle aurait tant voulu oublier, s’affairant avec
aisance entre les verres et les bacs à glaçons, notant mentalement, dans
l’ordre et sans la moindre erreur, les commandes de tournées lancés à un rythme
infernal par des voix tonitruantes et de moins en moins assurées, elle écoutait
les conversations décousues, les mêmes histoires racontées cent fois avec leurs
variantes et leur invraisemblables hyperboles, la manière dont Virgile Ordioni
n’oubliait jamais de découper dans les entrailles fumantes du sanglier mort de
fines lamelles de foie qu’il mangeait comme ça toutes chaudes et crues, avec
une placidité d’homme préhistorique, malgré les cris de dégoûts auxquels il
répondait en évoquant la mémoire de son pauvre père qui lui avait toujours
enseigné qu’il n’y avait rien de meilleur pour la santé, et le bar retentissait
maintenant des mêmes cris de dégoût, des poings serrés tapant sur le zinc du
comptoir éclaboussé de pastis, et il y avait encore des rires et on disait que
Virgile était un animal mais un sacré bon tireur et, tout seul dans un coin,
Vincent Leandri fixait son verre avec des yeux remplis de désespoir. »
« L'après-midi m'a gratifié de deux évènements notables. Tout d'abord, un travailleur scientifique à la gueule de faune m'a rendu visite. Il m'appelait déjà Pierre le Grand, son pseudonyme à lui était Vespasien. Il m'a demandé de lire et de contresigner son étude de veux-deux pages au titre grandiloquent : L'évolution des mœurs du travail et le recul de l'alcoolisme dans la première période de la construction du socialisme développé. Je ne me souviens plus de tous les détails de son argumentation, je sais en revanche qu'il préconisait l'augmentation drastique du prix des spiritueux, ainsi que l'introduction provisoire de la bastonnade et du matriarcat pour le cas où on ne réussirait pas à ramener la consommation d'alcool sur les lieux de travail au-dessous du seuil critique de trois bières et d'un demi-litre de vin par jour. J'ai trouvé ses déductions et ses propositions un peu sévères. Vespasien m'a confessé alors qu'à l'origine, il préconisait la proclamation de l'état d'urgence, mais l'académicien Ember Scätozar, un homme âgé et même malade, donc parfois très indulgent, soutenait mordicus qu'il fallait créer des commandos de jeunes mères afin de détruire les bistrots, ou bien utiliser la persuasion idéologique : on devait fustiger les vestiges de l'alcoolisme qui persistait encore ici et là en organisant des réunions extraordinaires et publiques du parti. Qu'en pensez-vous ? m'a t-il demandé. - Retravaillez votre étude, camarade Vespasien, ai-je proposé, car je ne savais pas quoi dire d'autre. - Je l'ai déjà travaillé deux fois, camarade Pierre le Grand. - Cela ne fait rien. Retravaillez-la une troisième fois. - Et à votre avis, dois-je tenir compte des suggestions du camarade directeur général ? - Certainement, ai-je dit. - Et que proposez-vous, camarade sous-directeur ? - La même chose que la camarade directeur général. Au travail ! Ne vous découragez pas, camarade Vespasien, j'ai confiance en vous. »
Alors qu'un mur s'effondre, nous nous aventurons en Absurdistan, ce pays méconnu d'Europe de l'Est. Nous, c'est à dire Moi et Mon Moi Inégalable, cette petite voix intérieure qui me montre la voie à prendre, ou à dévier - et les déviances, ça me connait dans ma putain de vie. Mon Moi Inégalable m'est parvenu comme ça un jour, sous les traits d'Einstein, une mine donc confiante pour survivre en terrain (dé)miné. Ils sonnent les cloches pendant qu'une révolution se joue. Seul dans mon bureau, à regarder le monde, du moins ce globe-terrestre qui tourne à portée de main, voulant profiter d'une journée pépère, espérant juste baiser ma douce ce soir...
C’est
par une nuit d’insomnie que débute toute lecture. Une insomnie sans whisky,
bien que ça rime la nuit. Il y avait un vieux bouquin, tout petit, tout fin,
d’un auteur que je ne connais pas, Bobin là aussi ça rime comme un bon verre de
vin. Longtemps, je me suis pris ce livre, entre les mains, sans l’ouvrir, juste
pour observer la couverture. La photo interpelle, belle, la lumière du noir et
blanc, le papier jauni, les vagues qui s’échouent sur le rivage, le regard
porté au loin. Et puis Christian Bobin, j’en ai souvent entendu du bien. Alors…
« Vous faite
une promenade dans la neige. C’est la première neige de l’année. C’est comme
chaque fois la première neige de votre vie. Elle est légère comme l’esprit.
Elle est claire comme l’enfance. Elle est blanche, toute blanche comme l’esprit
d’enfance. Elle recouvre la pensée. Elle éclaire le cœur. Elle est votre vie
blanche. »
Alors,
je lis la première nouvelle, oui, c’est un recueil. Et rapidement j’arrive à la
dernière. Il fait froid, toujours nuit, mais le silence est là. J’aime ce
silence dans le noir, le meilleur moment de ma vie. Pour les nouvelles, j’ai
déjà oublié tout ou presque. De leur histoire, de leur contenu, de leur poésie.
Bobin parle de l’amour, parle de l’enfance, parle de Dieu, parle du silence
aussi. Le silence, ça me parle. Les autres sujets, je ne sais pas, ne sais plus.
Il parle de neige, aussi, et j’aime le silence de la neige. L’un est
indissociable de l’autre.
« Je m'enfile le Jack d'un trait et tends le verre pour réclamer Daniel's. Il arrive avec le sourire et plonge dans ma gueule aussi sec. »
S’enfiler quelques cachetons sous la langue et s’envoler.
Glisser un petit comprimé de benzodiazépine et s’évader.
Quand l’insomnie te prend depuis des années, les cachets ne font plus effet. Alors, tu augmentes la dose. Tu es bien meilleur prescripteur que cette bande de psychiatres avides de leur compte en banque. Alors, deux d’abord au réveil, puis trois, puis cinq.
Un joint, ou deux, bien roulés.
Tu as toujours la main à la poche, tentation permanente de plonger la main vers une nouvelle plaquette de pilules.
Et puis tu te sers un verre, ou trois. Du Elijah Craig, 18 ans d’âge, pour les grandes occasions.
Les nuits, tu les passes en tête à tête, avec tes potes, Jack et Daniel’s. D’ailleurs, Cath et Pierre, viennent te voir demain. Mais quel demain sera.
La chaîne stéréo distille sa symphonie de guitares tonitruantes. Il y a de quoi grésiller dans les tympans et de se sortir de cette torpeur nonchalante.
Je me sers un verre moi aussi, pris dans cette addiction. Celle de l’écriture, et de la page blanche. Alors, je reprends un second verre.
Un téléphone qui sonne. Kurt Cobain qui braille Smells like teen spirit.
Cela commence comme dans un rêve. Deux
filles superbes et brunes descendent de voiture, je regarde leurs
sourires dans ma combinaison bleue de garagiste, un short moulant, une
mini-jupe mini, ce parfum d'ivresse, de jasmin et de chatte humide.
Je fond pour un sourire, et craque pour leurs culs croquants. Terriblement bandant
cet effet qu'elles me font sur une route ensoleillée de
l'Andalousie, dans la province d'Almeria. J'ai chaud, même dans les
rêves, dès qu'il y a du soleil, je sue à grosses gouttes de
plaisir de voir ces courbes danser autour de moi, comme un morceau de
glace dans un verre de mojito, ces seins qui dansent le hula hoop
sous mes yeux prêts à gicler des larmes de bonheur et de
jouissance. Pour parfaire la tableau idyllique de cette scène, la
radio diffuse un extrait de « Ummagumma », le plus grand
album rock de l'histoire du rock et de tous les temps. Cela en
devient presque trop pour moi, l'éjaculation est déjà au bord du
drame quand je pose ma main au bord de leurs fentes sans défense et
ouvertes à mes propositions.
C'est à ce moment-là que je me
réveille, me demandant ce que je fais dans cette putain de vie qui
n'en finit pas. J'avale ma salive, amère, en même temps que mon
comprimé blanc et ovale. Le café coule, ploc-ploc, au goutte-à-goutte dans la cafetière. Noir, un demi-sucre pour
accompagner ma triste destinée dans un monde où la biochimie s'est
substituée à mon plaisir. Mon taux de sérotonine (c'est fou comme ce mot me renvoie à mes cours de biochimie de M. Pelmont) sanguin croit en
même temps que la ferme virilité de mon membre décroit. Point
final d'une vie.
Cela
fait longtemps que je ne t’ai pas ressorti l’histoire du pick-up poussiéreux
que je gare aux abords d’un bar tout aussi poussiéreux. C’est presque par
hasard que j’ai roulé jusqu’à Central City, Texas, guidé par le vent, emporté
par la poussière. Forcément, j’y entre, dans cet antre miteux, au risque de le
voir s’effondrer sur moi et ainsi me transformer en poussière. Forcément j’y
commande un verre de bière, un shot de whisky. Forcément, je regarde la
serveuse pulpeuse qui roule du cul – bien mieux que mon pick-up d’ailleurs –
entre les tables poussiéreuses et enfumées – oui, c’était encore l’époque où
l’on pouvait encore fumer et caresser la croupe de la serveuse, sans que
personne ne s’en offusque.
« Ici, au pays du pétrole, on trouve pas mal
de maisons semblables à celle des Branch. Dans le temps, c'étaient des ranches
ou des fermes ; mais des puits de pétrole ont été forés autour, parfois même
jusque sur le seuil, et tout le voisinage s'est transformé en un cloaque de
pétrole, d'eau sulfureuse et de boue rougeâtre cuite et recuite par le soleil.
L'herbe est morte. Les sources et les ruisseaux ont disparu, mais les maisons
sont restées, noires et abandonnées au milieu d'un fouillis de sauges, de
tournesols et de sorgho. »
« La neige escomptait les contours de la plage, lui donnant des airs d’aquarelle. Elle avait coiffé le sable, les galets, et drapé la jetée. Sous la neige, le paysage devenait à lui seul un conte. Ses paillettes immaculées arrondissaient les angles et gommaient les différences, propageant une beauté douce et rassurante. Le silence ouaté transformait les cris en murmure et le vent en musique. »
Le tableau est idyllique, de la neige, belle et silencieuse, celle du Grand Nord à peine foulée. Le froid qui bleuit les doigts, même celui des cadavres. L’air frais de la Suède, et de belles suédoises pour faire frémir le caleçon. Mais oublions, le temps d’un roman, ces saunas où mon état vaporeux se prélasse dans une fantasmagorie des plus libidineuses. Car la réalité est nettement plus sanguine. Cruelle même, affreuse, abjecte. Une vision d’horreur.
Petite revue en détail de l’équipe, Emily Roy, la profileuse qui semble partager sa vie entre Londres et cette région suédoise, Alexis Castells, écrivaine spécialisée dans les crimes en série, le commissaire Bergström et son équipe aux noms bien suédois, et la jeune Aliénor Lindbergh, autiste Asperger qui complète l’équipe de ses incroyables connaissances… Ça en fait du monde à suivre, pour un troisième épisode pour qui n’a pas lu les précédents. C’est d’ailleurs mon seul reproche, cette difficulté à intégrer l’équipe et à comprendre leur rôle respectif, n’ayant pas abordé auparavant les précédents opus.
« La ville est torride. La poussière rouge qui recouvre tout est encore plus désagréable pendant ces heures chaudes. La seule chose à faire c’est profiter de la fraîcheur de ma maison pour une sieste en compagnie de quelques culs noirs ramassés au passage. »
La poussière s’élève du néant. Une horde de camion fonce dans le désert. Immensité des lieux, le vide aux alentours, ils avancent sous une chaleur écrasante, comme une course contre la montre, contre la lune ou contre la casse. Ce ne sont pas des premières mains, ces camions récupérés dans quelques casses aux alentours de la banlieue bordelaise. A son bord, le chef de gang, Cizia Zykë. Il règne en maître sur ses ouailles, comme un dictateur despote tenant entre ses doigts la vie de ses serviteurs. Bokassa est un boucher cannibale, Cizia lui est une légende. Mais dans le genre, macho, avec les chaines en or autour de son torse velu, la chemise ouverte, le flingue pour le respect, dans le genre sévèrement burné, juste de quoi rouler des mécaniques.
« La nuit, je tâte, dans un demi-sommeil, les culs propres et rassurants qui m'entourent et me rendors heureux. »
« Ici, le métro est aérien. Il y a quelque chose d’étrange avec ça, mais
dans le Bronx, de longs tronçons de rails sortent de terre et filent loin
au-dessus des rues, comme la ligne E1. J’imagine qu’un jour, ils vont
l’enterrer, elle aussi, et ça sera dommage, parce que de là-haut, un jour comme
celui-ci, on peut voir plein de choses de New-York.
Je
veux dire que souvent, même trois ou quatre nuits après une averse, on peut
encore voir sur les toits plats et goudronnés, les flaques d’eau scintillantes
qui reflètent le ciel. Et quand le vent souffle, les extracteurs métalliques,
certains tournent, tournent, et d’autres, leurs pales telles des crinières,
s’agitent brusquement, susceptibles et nerveux, à la manière dont parfois on
voit un pur-sang prendre le mors aux dents à l’approche de la ligne de départ,
alors que son jockey essaie de l’apaiser, avant – si on parvient à l’entendre –
de l’injurier.
Il
y a aussi les pots de fleurs sur les escaliers de secours. La plupart avec des
géraniums, parfois même un rosier, et toujours, bien après la saison, des lys
avec les longues feuilles jaunies, un emballage de papier rose encore autour
des pots. »
Le corps en sueur, le cœur battant,
l’âme pas encore battu, un genou à terre. J’entends cette petite musique dans
la tête, genre ta ta ta ta ta la la la la, tu vois le genre, genre tu cours
dans la rue, et dès que tu vois des marches d’escalier, tu accélères, et une
fois gravi le sommet de cette colline urbaine, tu lèves les bras au ciel et tu
te retournes en regardant la ville en bas, le regard si fier que tu aurais
envie de crier au vent « Adriennnnneee ». Une foule t’applaudit,
hurle ton nom, des flashs crépitent, c’est le délire, abondance de lumières, de
brouhaha, de femmes en maillot de bain échancré venu tourner autour de l’arène,
ce mélange de sueur et de testostérone, bientôt tu auras une statue à ton image,
les larmes aux yeux. Oui, mais voilà, tu te réveilles ce matin, dans un matelas
qui pue autant le moisi que la pisse, toujours en sueur, dans un motel autant
moisi que miteux, seul, la vie c’est pas ce putain de rêve. Le mythe du boxeur,
c’est une autre paire de gants.
Viens…
Je t’emmène, jusqu’au bout de la nuit, au bout de la vie. Une folle nuit
d’insomnie, à Cali. Santiago de Cali, berceau colombien de la salsa et de la
danse. La musique déverse son flot de déhanchements à chaque coin de rue, et
crois-moi, j’aime le déhanchement de ces femmes, dans le genre brune épicée au
sourire ravageur. Timidement, je suis du regard Maria qui n'a de regards que pour ces
ténébreux colombiens aux regards de braise capables de lui traduire les grandes
chansons de rock américain, de danser toutes les sambas de la nuit, de lui
fournir quelques comprimés d’une blancheur cocaïnée… Bref rien pour moi, mais
je me contente d’observer son sourire et sa vie à distance. Elle a de toute
façon l’air si heureuse loin de ma personne que personne ne s’en émeuve la
bouteille de rhum à portée de main la narine hésitante face à cette ligne toute
tracée et immaculée.
Une
ballade et balade, nocturne, musicale, sous le clair de lune, dans les ruelles
sombres et sous cocaïne, odeur puissante d’urine et de vomis. Du rock à la
rumba, des pierres qui roulent, de la mousse dans un verre, Que Viva la
Musica ! dirait un révolutionnaire, suivi de la belle Maria et de son
sourire, fuyant sa clique d’admirateurs à sa suite. Elle est belle, Maria,
toujours aussi belle qu’à son premier chapitre, toujours aussi fraîche même au
bout de la nuit, mélange de jasmin et de sueur, je renifle, non pas de coke
pour moi, juste sa fragrance enivrante, mon envie de lui verser sur son corps
ma bouteille de rhum qui glisse entre ses seins, qui imbibe ses poils pubiens
que je m’empresse de lécher, la langue assoiffée de ces prénoms en a. A moins
que cette nuit de débauche et de rumba ne soit qu’une longue hallucination
solitaire dans l’ombre de la lune bleue.
« Voilà plus de sept ans qu’il est mort mais je continue à passer mes nuits avec lui. Adossé à un mur de la chambre, la tête légèrement penchée selon ses habitudes, les paupières lourdes, il garde les yeux fixés sur moi. »
Un hiver glacial tombe sur la ville. Tu ne trouves pas qu’il fait froid ? Dans cette chambre, dans cette ville, dans cette vie. J’aime le jazz, les sonorités improbables d’un saxo, les silences entre les sons. J’aime le froid, la neige, le blanc. Lorsque les doigts deviennent bleus. Lorsque les lèvres deviennent bleues. Lorsque de la fumée sort de ta bouche à la moindre respiration. Inspiration expiration. Le cœur bat, combien de bpm, le saxo sonne, la machine à écrire fredonne. Izumi est écrivaine, Kaoru musicien dans le free jazz. Les sons s’échappent, improvisation du moment. Izumi se couche, échappant aux coups. Kaoru rêve du Grand Nord. Izumi ne rêve plus, ne vit plus. Un saxo qui cogne. J’ai rêvé de la lune bleue.
« Ma musique vit une seule vie. L'improvisation dans le jazz dépend de la sensation du moment, c'est une question de sensibilité. Ça t'arrive d'écouter du jazz ? »
Mettre
un disque sur la platine, se servir un verre, la soirée sera longue, tristesse
intime à faire hennir les chevaux de plaisir. Le roman, pas d’une franche
gaieté. Bien calé à l’arrière d’une dauphine, je commence l’ouvrage, avec un
minimum d’entrain, je dois l’avouer. Je ne sais pas, j’ai du mal, trop
biographique pour moi, pourtant j’aime la noirceur. L’histoire d’un deuil,
l’histoire d’une femme. Delphine revient sur sa mère, Lucille, qui a souffert
tout au long de sa vie. Et pour comprendre la vie de cette femme, elle doit
remonter jusqu’à son grand-père, Georges au comportement aussi autoritaire et intransigeant
qu’ambigüe. Lucille, pour moi, c’était avant tout la guitare de B.B. King, je
reste dans l’univers de la musique, rien ne s’oppose à la nuit. Osez remuer le
passé, osez marcher sur l’eau et éviter les péages, osez écrire tous ces
secrets. Lourds de sens, ces silences étouffés n’en demeurent pas moins
insupportables. Mais je n’accroche pas à la vie de Georges, elle m’ennuie
presque, je sais pourtant qu’elle est indispensable à la suite, du roman, du
récit. En fait, j’aimais surtout lire les doutes de l’auteure sur le besoin
d’écrire l’histoire de sa mère, un livre qu’elle n’aura jamais lu.
« Lucille est devenue
cette femme fragile, d’une beauté singulière, drôle, silencieuse, souvent
subversive, qui longtemps s’est tenu au bord du gouffre, sans jamais le quitter
tout à fait des yeux, cette femme admirée, désirée, qui suscita les passions,
cette femme meurtrie, blessée, humiliée, qui perdit tout en une journée et fit
plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, cette femme inconsolable, coupable
à perpétuité, murée dans sa solitude. »
« Beaucoup de gens se sentent mal dans leur peau, parce que ce n’est pas la leur. »
Une dernière page qui se tourne, pendant que sur la platine le grand Jacques me parle de sa longue et large queue de serpent, moi je file à la salle de bain, une envie furieuse de me laver le cul dans le bidet, pas trop de savon sinon ça pique. Ne pas refréner ses envies subites m’a dit un jour mon psy sur son canapé, de là à lui parler de mon serpent frétillant. 2m20 tout de même ! C’est pas que j’ai l’habitude de jouer les prétentieux, mais oui c’est bien sa longueur. Et tu seras bien obligé de me croire, je n’ai pas non plus pour habitude de montrer mon serpent aux étrangers. Seulement à Mlle Dreyfus, elle est si belle avec ses jambes couleur café et ses seins si parfaitement sincères. Oui, je sais, c’est pas commun, un python de 2m20 et des poussières, la vie chez moi n’étant que poussière, seule Mlle Dreyfus réussissait à l’éclairer, mais elle est partie. D’ailleurs, c’est pour elle que je me lavais le cul. Bon OK, c’est surtout les bonnes putes, les âmes tendres de cette vie, qui y tenaient surtout. Question d’hygiène ou d’amibes, un truc du genre. Mais je sens que je suis devenu trop intime, pour toi ami lecteur qui se fout bien, et probable que tu as raison, de savoir si j’ai le cul bien propre ou pas. Non, non, je ne fais pas une obsession, ne joue pas le psy avec moi, par contre la psy qui s’allonge sur le canapé, je veux bien, et je t’expliquerai pourquoi il faut avoir le cul propre. Car je n’ai jamais lu l’histoire d’un mec (son serpent est secondaire ici) qui se fait laver le cul dans le bidet autant de fois en si peu de pages. D’où l’intérêt pratique de se garder un bidet à portée de main, ou de cul, parce que moins pratique pour se laver les mains. Certes les considérations hygiéniques sont importantes dans notre société, mais revenons à nos moutons – à mon serpent plutôt. Un long python noir.
Cet
été. Le hasard d'une lecture fait que j'ai commencé ce roman le jour où je
découvris une photo de l'organisation Sea Shepherd montrant la vente
promotionnelle d'un requin-renard sur les étals d'un grand supermarché où des
mousquetaires jouent de l'épée. Une espèce protégée, il va de soi, qu'il est
donc interdit de pêcher mais visiblement pas interdit de vendre si elle a été pêchée
par « erreur ». Et ne serait-ce pas là le véritable problème que, à
travers cette société pourrie par l'appât du gain, l’entreprise ne s’offusque
pas d’afficher de tels étals sauf s'il y a quelques remous médiatiques…
Mais
je m’égare, et gare mon regard vers l’autre rive, l’océan est si grand, qu’il
me faut revenir au bouquin, et lui rendre hommage. Parce que je ne connaissais
pas l’écriture d’Alice Ferney, mais le sujet m’a depuis longtemps intéressé,
ayant notamment suivi les frasques et flibusteries de Paul Watson, fondateur de
cette ONG. Parce qu’à travers ce roman, il s’agit bien évidemment d’un hommage
au courage et à la détermination de cet homme qui à la barre de vieux rafiots
n’hésite pas à se mettre en travers de l’économie mondiale, de la toute-puissance des
états, et de ces impunis de la mer.
Le rideau de la boutique de livres d'occasion est resté baissé, ce matin. Mitsuko, que j'avais découvert entraîneuse le week-end dans un bar dans « Azami », puis gérante passionnée de cette librairie philosophique dans « Hôzuki », vient de décéder, surprenant son petit monde, notamment Tarô, son fils sourd muet, et sa grand-mère maternelle.
« Je me déplace et m'assois sur le bord du lit. Elle s'approche lentement et s'arrête devant moi. Un parfum de savon effleure ma narine. Je dénoue son obi et ouvre son yukata. Elle n'a rien dessous. La toison pubienne noire contraste avec la peau blanche. C'est beau. »
Ce nouvel opus centre son activité sur Tarô et son histoire d'amour silencieuse. Une histoire qui se passe de mots où Tarô vingt ans après retrouve la petite fille qui l'avait tant émue dans la boutique de sa maman. Et moi, les histoires d'amour, même silencieuses, c'est mon kif. Que de souvenirs, loin de ces lourds secrets de famille... et pourtant, ces fardeaux prennent toutes leurs conséquences dans ce dernier acte.
Seulement
pour les fous. Le suis-je assez pour m'atteler à la réputation de
ce guide du solitaire. Solitaire, je le suis et je suis ainsi la
route d'un Loup des Steppes. Le loup, est-ce mon image littéraire ?
Parce que Hermann Hesse aurait très bien pu écrire Le Bison des
steppes. Tout aussi fort, tout aussi seul. Il y aurait suffit de
remplacer le vin d'Alsace omniprésent dans ce roman (et ma foi, je
déguste ces pages entre Riesling, Gewurtzraminer et Tokay...) par
une vodka à l'herbe de bison, laisser Mozart, le grand, sur la
platine. Born to be wild.
« Le
vin d'Alsace, c'est encore ce qu'il y avait de meilleur. Je n'aime
pas, du moins pour tous les jours, les vins violents et sauvages qui
étalent des appâts puissants et possèdent des bouquets célèbres
et spéciaux. Je préfère les petits vins campagnards purs, légers,
modestes, sans noms particuliers; on en
boit facilement en grande quantité, et ils ont le goût simple et
doux de la terre, du ciel, de la campagne et de la forêt. Un verre
de vin d'Alsace et une tranche de bon pain, c'est là le meilleur
repas. »
Kate, brillante avocate, mère célibataire, jongle tant bien que mal avec les responsabilités professionnelles et maternelles. Le proviseur du lycée l'appelle en pleine réunion, une urgence, il faut venir. Amelia, cette brillante élève qui n'a reçu jusqu'ici que des louanges, est accusée de plagiat dans son devoir. Faute grave et exclusion temporaire. Elle court, toute la vie elle court prise par le temps, les tâches et les devoirs qui lui incombent, la chercher. Métro bondé, portes bloquées, usagers résignés. C'est avec plus d'une heure et demi de retard que Kate arrive au lycée, la police est même déjà sur place : « Mme Baron, quelque chose est survenue à votre fille... »
Ainsi commence ce premier roman de Kimberly McCreight. Guère besoin d'en dire plus, la trame est classique. Le suicide d'une adolescente reste toujours une chose impensable, surtout pour un parent. Le scénario n'a rien de révolutionnaire, et les cinq cents pages qui suivent seront sur la recherche de la vérité, suicide ou... Par contre, j'ai pris énormément de plaisir à lire les à-côtés justement, les évènements qui ont abouti au drame.
« Mon existence même est peut-être une erreur dès le départ. »
Je m’avance sur le sable, le soleil couchant illumine les vagues venues s’échouer à mes pieds. Le regard porté sur l’horizon, les souvenirs tentent de remonter à la surface. Elle vient de perdre sa mère, quelques cartons et une vie antérieure se dépoussière. De ces cartons échoués dans son appartement, beaucoup d’interrogations relatives à sa mère adoptive surgissent du passé. Et comment ne pas douter de sa propre existence lorsque l’on ne sait pas les raisons d’un abandon dans un orphelinat là où ce même soleil est en train de se lever, à l’autre bout de l’océan Pacifique, là-même où d’autres vagues, peut-être les mêmes s’échouent sur le rivage de la Corée.
Elle s’appelle Camilla, comme les fleurs de Camélias. Une photo sur laquelle posent deux personnes, elle et sa mère, devant un massif de camélias. A vingt et un ans, elle a besoin de connaître la vérité sur son histoire, sa mère sa naissance. Et ce n’est qu’en foulant la Corée qu’elle pourra trouver un semblant de réponse. Parce que toutes les histoires sont différentes…
Je m'endormis et rêvai aux bâches avec lesquelles nous avions recouverts les morts, cette nuit-là, et dans mon rêve elles se soulevaient et nous pensions que c'était le vent et nous avions beau planter les piquets elles se soulevaient encore. Nous les retenions avec nos mains de toutes nos forces mais une force plus grande continuait de les soulever et chacun au fond de lui savait que c'étaient les morts qui poussaient avec leurs jambes grises. »
Allemagne, Juillet 1945. C'est la libération des camps, des prisonniers marchent en rang. En silence. Le silence règne sur les étoiles, sur le plafond de ma chambre. En silence, je découvre mon troisième roman de Hubert Mingarelli. Ne me demande pas d'où vient l'attrait pour cet auteur, je n'en sais rien. Si, demande-moi... Parce que je crois que ce que j'apprécie chez lui, c'est la poésie de son silence, un silence omniprésent dans les pages de ces récits. Celui-ci ne fait pas exception. Au milieu de cet univers, un photographe anglais parcours cette lande devenue misérable mais presqu'encore plus belle vidée de sa vie. Accompagné d'un chauffeur à ses ordres, ils errent tout deux, s'arrêtent pour prendre en photo des gens. Quelle motivation ? Peu importe... Quel secret se cache derrière ces deux personnes ? Je ne saurais dire... Pourtant... oui pourtant, parce que ce roman vaut tous les pourtant. Une atmosphère presque hypnotique, la pluie mouille, le soleil évapore la rosée, il y a de la vie dans ce silence, la nature y est sublimée, et pourtant ils sortent d'un triste moment de l'humanité, une défaite de l'âme humaine, cette guerre...
Un vent léger apporta l’odeur d’un chèvrefeuille, et soudain je fus accablé de solitude comme sous le hangar. Une solitude sans début et sans fin. Je la devais sûrement à la beauté de la clairière, de la lumière déclinante et du lointain vrombissement des avions. »
Une visite au zoo de Vincennes s'impose. Là, j'espère rencontrer Pierre. Un pauvre type qui me ressemble. Sauf que lui, il ramasse la merde des animaux. Des brouettes de merde sous toutes ses formes sous toutes ses couleurs. Des kilos et des kilos de chargement. Et je ne te parle pas du panda qui chie plus qu'il ne mange. Mesdames, avant de lire ce roman, sachez que vous ne regarderez plus jamais la peluche, si mignonne, de votre panda qui traîne sur votre lit lorsque vous aurez lu la quantité d'étrons que cette bête, de prime abord si charmante, peut déverser dans sa cage. Un roman qui commence les deux pieds dans la merde perçoit forcément toute mon attention. Peut-être même que ça porte bonheur – ou pas...
« Je vous épargne les détails, ce qui compte ici n'est pas là. Pour faire court je vais vous proposer ce que j'appellerai un résumé épileptique.
Trente et un ans. Pétage de plombs. Engueulades familiales. Engueulades conjugales. Engueulades professionnelles. Professionnel de l'engueulade. Maîtresses (dans certains cas, la langue française devrait prévoir une marque de pluriel répétée, comme dans « maîtressesssss », qui prendrait une profondeur subtile évoquant le grand nombre tout en incluant le degré de pourriture – ou de mal-être, c'est selon – du mec concerné). Licenciement. Rupture. Éloignement des amis, de la famille. Dépression. Alcool. Baise. Alcool surtout. Vide. Long vide. Psy. Et Roosevelt. »
« Peut-être aurions-nous vraiment pu rester là-haut pour toujours, et
personne ne s’en serait jamais aperçu. »
A la recherche de fraîcheur et de
plantes pour Génépi, mon regard se porte vers là-haut, vers l'infini et au-delà des nuages, des
cimes majestueuses parcourues par des bourrus locaux, des chamois ou quelques
touristes. Que vais-je bien y trouver là-haut que je n’aurais pas ici, en
bas ? Le silence, probablement. Car plus l’on monte, plus il est accepté,
probablement pour pouvoir y communier toute l’essence de son être avec celle de
la nature. L’amitié aussi. C’est dans ces hauteurs au milieu de la rocaille et
du silence que va se forger une amitié forte, et durable, espérons plus que les
neiges éternelles qui fondent à vue d’œil, entre deux gamins, un de la ville,
l’autre d’ici. Pietro et Bruno au cœur de la vallée d’Aoste. L’apprentissage de
la vie, la vie de son père aussi.
« En montant, j’aimais m’arrêter une minute au bord du lac. Je me
penchais pour caresser l’eau et en sentir la température au contact de ma peau.
Le soleil, qui illuminait les cimes du Grenon, n’était pas encore arrivé jusque
dans la vallée, et le lac gardait une qualité nocturne, comme le ciel quand il
ne fait plus noir et que le jour tarde à venir. Je ne me rappelais plus très
bien les raisons qui m’avaient fait m’éloigner de la montagne, ni ce que
j’avais aimé d’autre quand je ne l’avais plus aimée elle, mais j’avais
l’impression, en la remontant chaque matin en solitaire, que nous faisions
lentement la paix. »
« Toutes les histoires sont des histoires d’amour. »
C’est ainsi que commence ce roman, dans le genre ballade irlandaise. Les histoires d’amour c’est mon kif, alors je fonce dans le premier pub, irlandais. Ça braille, ça crie, ça gerbe, mon univers. Des gamins qui se pintent, des vieux qui se pintent, des rousses qui se pintent aussi. Le ciel est gris, les nuages menaçants, la pluie arrive en trombe, les buveurs aussi. Mon élément, cette grisaille et ses bières. Et ça cause amour, des love story qui mijotent autant que l’irish stew dans une cuisine que l’on croit abandonnée. Une radio diffuse les grands titres du lion de Belfast, de quoi chavirer quelques cœurs autour d’une bonne bière, c’est que les histoires de cœurs sont au centre de toute une vie, le mien par exemple je l’ai donné à Van Morrison. Un flash-info, je coupe le son. Une nouvelle déflagration qui coupe cet élan de bonheur et d’ivresse. On s’y habitue presque dans les rues de Belfast. Des graffitis au mur, des bombes qui sautent, des sirènes, des cris affolés, des pleurs chagrinés, ainsi va la vie dans ses rues. Peut-être pour cette raison que chaque week-end est rythmé au son des verres qui s’entrechoquent.
« Il arrivait à pied de Four Winds parce que ce matin-là, il s’était réveillé sonné et nauséeux dans le minuscule galetas de Slat Sloane, dans Democracy Street. Le week-end habituel consacré à la biture. Quarante-six pintes et deux repas. Les distractions de Chuckie constituaient une forme d’évolution inversée. Il consacrait alors tout son temps et son argent à se rendre moins intelligent, moins évolué. Et, apparemment, d’énormes quantités de temps et d’argent étaient indispensables pour finir dans la peau d’un reptile protozoaire vautré sur le sol de la cuisine de Slat. »
Le soleil s’est couché, la pluie redouble, dédouble même les ombres, vision troublée par le brouillard qui commence à envelopper la solitude du quai, bittes d'amarrage laissées à l'abandon nocturne. J’erre, la démarche volontaire, dans la pénombre d’un bord d’océan, New Bedford, Massachussetts, prêt à embarquer, un livre de poche dans la poche de ma vareuse. Au ciel, des étoiles qui scintillent avec parcimonie entre les nuages venus fendre l’éclat de la nuit. Dans ma tête, les étoiles d’un rêve que je pensais inaccessible, le mythique Cap Horn. Embarquer sur un baleinier.
Je navigue dans les ruelles, à la recherche d’une étincelle, la lumière qui ouvrirait ma voie, celle de la taverne, senteur de poussière, ivresse du grand large. Là-bas, on doit y boire, de quoi finir ma nuit ou ma vie. Surtout la possibilité de rencontrer des capitaines qui seraient susceptibles de m’accueillir à leur bord, la chasse à la baleine est dans le move en ce siècle. L’hôtel de la baleine, un nom prédestiné, besoin de m’allonger, trouver un lit, un banc, une moleskine avant de me retrouver l’œil hagard sur le pont d’un navire à gerber les entrailles de ma putain de vie. J’entre, pénètre l’antre de la baleine, tel Jonas dans sa splendeur littéraire.
« Au-dessus de cette énorme vague citadine, le Mont Fuji, dans sa
splendeur, par les matins clairs et les soirs dégagés. »
Un billet d’avion en poche, deux
escales, vol long-courrier, atterrissage au pays du soleil levant. Déambuler
seul dans les rues de Tokyo, le parc de la Sumida et le fameux temple d’Asakusa.
Je replonge volontiers dans les années 20-30, l’entre-deux-guerres, une musique
de jazz insouciante dans la tête qui accompagne cette pérégrination d’antan.
Asakusa, dans ces années-là, c’était
le temple des geishas et le temps des amuseurs ambulants. Les théâtres grivois se
dévoilent, comme un sein qu’on entraperçoit dans le pan d’un yukata s’ouvrant à
la bise du vent. Biser ce sein, celui qui ose se montrer sous la douce lumière
bleue d’une lune venue observer les mœurs de l’époque. Une jambe nue ou l’érotisme
d’une nuque, sur le pont Kototoi, c’était une autre époque, reste un spectacle
à la hauteur d’un feu d’artifice à la tombée de la nuit, d’un Mont Fuji aux
premières lueurs d’un petit matin ou d’une toison brune mouillée à la sortie d’un
onsen, lumières vespérales.
« Reconstruit au mois de février 1928, le pont de Kototoi est d'allure
moderne, clair, plat, large et blanc. Il trace une voie nouvelle et saine
au-dessus du fleuve Sumida souillé par les déchets de la ville.
Mais,
quand je le traversai à nouveau, les panneaux lumineux et les lumières des
alentours sombraient déjà dans l'eau noire ; il était imprégné d'une mélancolie
citadine. Sur la rive d'Asakusa, des pierres de taille blanches laissaient
apparaître leurs contours flous dans l'obscurité du soir, là où le parc était
en travaux. On voyait au loin des ouvriers qui faisaient un feu près de leurs
chevaux.
Par-dessus
le parapet, on entendait le bruit indistinct de la marée montante. Sur trois
péniches amarrées à un gros pilier en béton, c'était l'heure du dîner.
A
l'arrière, le riz fumait sur les réchauds. Une jeune fille coiffée d'une
serviette, un coffre à la main, enjamba le bord d'un des bateaux. A l'avant, du
linge rouge séchait sur une rame posée de travers. Sur le bateau voisin, on
grillait des maquereaux à la lumière d'une lampe à pétrole. Pêle-mêle sur le
toit, traînaient un tamis à pâte de soja, des bûches, un seau. »
J’ai envie de dire « Sacré Panofsky ». Un bon vivant, traversant des décennies de sa misérable vie, un verre de Macallan à la main et un Montecristo dans l’autre. Les volutes de ces plaisirs divins parfument ses amours entre Paris et Québec. Et il m’est arrivé de sourire à cette putain de vie, à ses trois femmes et aux élucubrations de ce vieux débris juif. Ecrivain ou presque, producteur de daube télévisuelle également, le voilà accusé d’avoir tué un homme, son ami il y a bien des années, le voilà à se défendre contre la vindicte populaire, à l’aube de son trépas, fin de carrière, fin de vie. Les idées en place se mélangent dans sa tête, avec les trous de mémoires qui s’engouffrent dans sa tête, il est temps de les accoucher sur le parchemin de sa vie, au coin d’une cheminée, cabane en bois et senteur de sirop d’érable.
Trois femmes qu’il a profondément aimées, à part peut-être la deuxième madame Panofsky, un amour éphémère qui a duré jusqu’à ce qu’il croise le regard de la future madame numéro 3 le jour de ses noces. Barney Panofsky, avec tout son humour et sa sénilité, se livre et me livre ses fantasmes, remontant jusqu’à la belle paire de joes de son institutrice qui a longtemps parfumé ses érections nocturnes de sa fragrance animale et tâché les draps de son innocence éjaculatoire. Et comme toute littérature pure laine, il est question, une évidence, de hockey sur glace, même et surtout lors de ce mariage avec l’acariâtre numéro 2, je ne comprends pas pourquoi elle l’a mal pris…
« L’ombre sent le jasmin. Mais ce n’est pas l’ombre, et ce n’est pas seulement le parfum du jasmin. Il y a une odeur qui lui parvient, fumeuse et âpre, qui ne se mêle pas à l’odeur du jasmin, mais qui l’accompagne, la poursuit, la rattrape, elles vont de pair, se séparent, se rejoignent. Ferroni sait que c’est l’odeur des serpentins pour faire fuir les moustiques. Il voit la spirale avec son œil de lumière, accrochée au support de laiton, il voit la fumée s’étirer paresseusement vers le haut et il comprend que ce n’est pas l’ombre qui sent la fumée, mais bien la nuit, rien que la nuit, la nuit brute et dense de son enfance. »
Il ne rêvait que de ses prochaines vacances au bord de l‘océan, loin de la cohue de Buenos Aires. Les jours approchent, la brise marine, l’air frais. Et puis son chef qui lui demande, ordonne, d’aller au Nord, dans les terres, pour interroger Matilde, dictature oblige. Ferroni est un « interrogateur » hors-pair. Son point de départ, des lettres de correspondance entre Matilde et Maria.
Jujuy. Le Nord, c’est une chaleur étouffante et de la poussière. L’enfer pour ses mocassins cirés. La sueur lui coule dans les yeux, dans le cou, une sueur collante que même un mouchoir blanc n’en vient à bout. Il s’engouffre dans ce bar, commande une bière, regarde ses chaussures, attend sa bière en silence…